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DVD / CD
10/05/2024

Otomo de Manuel

So Young But So Cold / Who Killed Nancy

Editeur : Ici, d'Ailleurs...
Genre : post-punk / cold wave / rock indépendant
Date de sortie : 2024/04/26
Note : 80%
Posté par : Mäx Lachaud

Déjà dans les années 1980, le son de Nancy avait attiré l'attention. La revue Best, entre autres, lui avait consacré un gros article et la compilation parue chez Dum Dum Records avait souligné cet intérêt. C'était surtout l'influent duo Kas Product qui avait servi de locomotive à toute une nouvelle génération post-punk attirée par les machines, les expérimentations en tous genres, les looks corbeaux et les ambiances froides et minimales. Avec le recul des années, le documentariste Otomo de Manuel a souhaité rendre hommage à cette scène et cette ville qui l'a vu grandir à travers le film So Young But So Cold. Et le label Ici, d'ailleurs... a vraiment soigné l'édition, en proposant aussi un second DVD avec une version plus courte et "télévisuelle" (Who Killed Nancy), un livret incluant de nombreuses archives photographiques, et un CD de vingt-et-un titres couvrant les quatre dernières décennies et nommé Random, Cold & Dilettant Music.

On pourrait d'abord se demander qu'est-ce que les nancéens avaient de si particulier et ce qui les situerait à part de ce qui se passait dans d'autres villes françaises. Le documentaire y répond assez vite en évoquant les liens avec New York (la no wave) et surtout Berlin (les musiciens de Dick Tracy se sont retrouvés dans Les Ailes Du Désir de Wim Wenders grâce à Solveig Dommartin, avant que Laurent Petitgand ne devienne un de ses compositeurs attitrés). Les nombreux intervenants, rassemblés sur des canapés ou autour d'une table de bistrot, semblent tous conscients que leur originalité venait aussi des contraintes du do-it-yourself, et d'un esprit punk ouvert sur les arts plastiques, la performance ou le théâtre. On retrouve ainsi, avec les cheveux blancs en plus, les musiciens d'Oto, Dick Tracy, Geins't Naït, Candidate et beaucoup d'autres, qui ont transformé un certain désert culturel en un bouillonnement créatif, où tout le monde était précaire mais fier d'être ensemble. On s'aperçoit aussi rapidement qu'il s'agit souvent d'histoires de couples (Kas Product, Candidate, Double Nelson) et des amours qui ont marqué une vie.

Otomo de Manuel nous offre ainsi une galerie de portraits, et littéralement une balade en vélo au sein de la ville. La parole est aussi donnée aux labels, disquaires et éditeurs : Punk Records, Les Disques du Soleil et de l'Acier, Camion Blanc, Ici, d'ailleurs... Des souvenirs ravivent des lieux mythiques : le 33, Chez Paulette... Mais dès que le film entre dans les années 1990, on s'aperçoit - et il suffit d'écouter le CD pour s'en rendre compte - qu'il y a une sorte de délitement de la scène. Le rock alternatif, le street art, la techno, le théâtre performatif essaient de faire perdurer une énergie, mais on ne peut constater qu'un esprit d'expérimentation qui se perd. C'est dans cette seconde partie que le film nous lâche un peu et tombe dans cet aspect gênant qu'est le "c'était mieux avant". Heureusement, Stéphane Grégoire d'Ici, d'ailleurs apporte un point de vue plus ouvert et positif dans sa vision de la scène actuelle et ses sorties le prouvent (dont la très belle collection Mind Travels dont nous vous parlons chez Obsküre). Il faut aussi dire que, dans un entretien qui figure en bonus, le réalisateur précise que ce film n'aurait pas vu le jour sans le décès de Spatsz de Kas Product, d'où ce sentiment nostalgique quand le périple s'achève.

Il est à mentionner que, même si la version courte, reprend l'essentiel des interventions de So Young But So Cold, on y trouve aussi des variantes et ajouts, notamment une scène de rue assez marrante avec Double Nelson. On peut saluer aussi le travail de mastering du CD où des titres classiques apparaissent dans tout leur éclat : "Never come back" de Kas Product, "Strange Girl" de Candidate, "Anyway" d'Oto, etc.