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Album
04/01/2021

Phôs

Disparition

Label : Catgang
Genre : musique délibérée
Date de sortie : 2020/11/06
Note : 80%
Posté par : Sylvaïn Nicolino

C'est avec Phôs que Catherine Watine fait de nouveau entendre sa voix. Elle ouvre la première piste, rapidement doublée, dans ce phrasé-parlé doux qui tient autant de la confession que de l'introduction aux rêves. Puis, la voix s'efface et la narration est prise en charge par la musique. Un mur de guitares noisy étend sa brume, recouvre tout. Le parasitage n'a qu'un temps, un passage ambient, field-recording suit et offre espace pour la voix. Cette fois, c'est en anglais et français, en retrait, comme par un enregistrement, comme si ce qu'on dit devait forcément être en décalage. Notes de piano, et une voix enfantine prend le relais. On se suit sans se rassembler, mais il faut "jeter des passerelles sur les fossés que nous avons creusés."

Intratextures et Watine sortent leur deuxième album en duo et ils mettent la barre plus haut. Les genres se fondent adroitement, le dernier mouvement de "L'Immense" jouant ainsi entre musiques concrète et jazz déstructuré. Cette forme mouvante, exigeante, avec des titres aux longs formats, colle à ce que chacun d'eux aime faire. Se laisser envahir par l'autre, jouer avec les propositions. Ainsi "I will" fait se télescoper les pistes de voix tandis qu'une mélodie orientale s'égrène timidement ; c'est ensuite la tonalité mélodramatique qui tente son entrée, mais elle est vite syncopée et tailladée, sans heurts véritable, gardant sa dimension de sample, comme échappée du contrôle. Sur "She said to herself", la voix est clairement en avant, jouant de l'ASMR dans son murmure si proche et son accent franco-anglais. La musique joue du rock comme autrefois Prohibition sur 14 Ups And Downs. C'est décomplexé et libéré, jazz-hardcore bruitiste, délicieusement funky et cinématographique pendant quelques dizaines de secondes. Un titre pareil aurait pu figurer aux grandes heures du label Prohibited Records ; gageons qu'il réjouira aussi ceux de Gang Of Four et Wire s'ils l'entendent.

Les percussions et larsen qui ouvrent le très théâtral "The Queen of Jails" montrent une nouvelle facette du duo, épidermique et viscérale, forte en gueule comme un vieux Test Dept, quand bien même l'harmonie monte et emplit le spectre. Le martèlement intensif assomme le démarrage d'"Everything" puis son final promeut des synthés lourds et très space-rock en mode ralenti ; là encore, le duo provoque : et si tout est si beau, la musique ne peut-elle pas contredire ? La vérité n'existe pas, tout est fluctuant et vivant – les ondes sonores et infrabasses qui suivent ne me contrediront pas : mes enceintes ont senti passer ce flux vital aux guitares sonic-youthiennes (période NY City Ghosts and Flowers).

On retrouve en revanche l'idée d'ASMR avec les cloches de "La Pensée", titre expressif qui invoque disparition, infini et souvenirs. Quelles traces restent des autres ? Comment faire face à ces altérations ? Quel plaisir ya-t-il dans la mémoire ? Spleen, Saudade, Mélancolie... Comme les deux comparses s'amusent et créent hors-cadre, on pourrait entendre de la disparité dans ce regroupement de titres. Ce n'est pas le cas. La voix fait lien et même lorsque les parasitages remplacent une bonne partie de la couche "musicale", il reste des notes et une atmosphère qui lient l'ensemble. "La Froissure du Rêve" est un constat, celui de la vie qui tient, qui refuse le noir absolu qui l'entoure. Cela génère des lumières, "une autre cadence". Sortir des disques qui font plus que maintenir en vie, qui sont une ode à celle-ci malgré toutes ses saloperies.

Tracklist
  • 01. L'Immense
  • 02. She said to Herself
  • 03. La Froissure du Rêve
  • 04. I will
  • 05. The Queen of Jails
  • 06. La Pensée
  • 07. Everything