Composer une bande originale forme un exercice intéressant car elle pousse à s'effacer et à donner ce que le réalisateur attend de l'artiste compositeur – et parfois aussi performer vocal – sans non plus livrer un album à part entière. Ainsi, si on se réfère à l'actualité, les bandes originales composées par Nick Cave sont à la fois des éléments à part dans sa discographie (depuis le Ghost Of The Civil Dead) et des permissions pour esquisser librement des pas de côté.
Rebeka Warrior a déjà une discographie large qui ouvre de nombreux possibles : avec Sexy Sushi, elle donnait dans l'electroclash provocateur à l'humour acide ; avec mansfield.tya, elle a ensuite trouvé une place de pop-chanson-rock expérimentale assez incroyable ; enfin dans Kompromat, elle livre ses penchants pour l'électro proto EBM glacée. En solo, son travail dans son label et notamment avec la compilation Rainbowarriors dit aussi des choses d'elle.
Et enfin, on a ces bandes originales qui se multiplient, dans l'ombre pour l'instant malgré une reconnaissance : ainsi sa participation avec Maud Geffray à la partition de la série Split, laquelle a obtenu le prix de la meilleure musique originale au Festival Séries Mania (mars 2023). Elle a aussi donné vie au générique d'À Mon Seul Désir (film de Lucie Borleteau) et à la bande originale du long-métrage Paula d’Angela Ottobah ; ajoutons enfin (grâce au dossier de presse) des musiques originales pour la comédie musicale Les Reines Du Drame d'Alexis Langlois.
Cette fois, c'est Claire Burger qui l'a sollicitée. Les deux femmes s'étaient rencontrées pour le travail de mise en images du clip de "De mon Âme à ton Âme" de Kompromat (avec Adèle Haenel devant la caméra). Ce qui se joue est plus fort.
Rebeka efface donc sa voix et élabore en concertation avec Claire ses partitions. Bien sûr, dans un film, les morceaux ne sont pas diffusés intégralement, alors l'album qui sort redonne format à l'ampleur initialement jouée. Sur ces pistes originales (avec en plus deux ajouts de Sexy Sushi et Kompromat), la trajectoire est double, comme pour le film : faire sentir une idylle naissante, accompagner l'engagement militant. Comme l'histoire se construit dans deux villes différentes, la bande originale se devait de différencier ces deux lieux et d'appuyer le contexte : Leipzig se nourrit en partie de la musique de J.S. Bach (la délicatesse mélancolique de "Her Friend - Origin" s'en ressent), ce qui n'est pas le cas pour les titres éclairant les séquences à Strasbourg.
Fanny et Léna, les deux personnages du film deviennent ainsi des personnages visuels, parlant mais aussi intégrées chacune à sa musique avant leur union. Histoire de complexifier, un titre aéré, dynamique, limpide, se nomme "Searching for Rebeka", comme si Warrior s'immisçait à son tour dans la narration pour mieux composer, refusant ce statut de Personnage Non Joueur. Un positionnement éthique qui se faisait déjà jour dans "Possession" dont les paroles nous englobent alors que la musique grisée passe à la lumière de la lutte et de l'émancipation.
De ces intentions multiples et des possibilités offertes (pas besoin de refrains, d'un format calibré) naissent logiquement des ambiances et résultats hétérogènes. "The Protest" est assez proche des derniers titres de mansfield.tya, entraîné par une captation de manifestation de gilets jaunes et réveille un peu du titre "Tempête" s'il avait été densifié par Kompromat. "To avoid" fait danser, mais avec une touche synthétique rétro plutôt étonnante qui se conjugue en décalage avec le beat. "J'aime mon Pays" est dans sa version courte, efficace, directe (alors que j'ai encore en tête la performance sur scène à Aix-les-Bains en juillet 2013) alors qu'un peu plus tôt "Die Welt in Stücke" martelait sa techno sur une rythmique bien agitée. Les deux variations de « Her Friend » sont magnifiées par ce faux violon. Dans une trame plus synthétique qui évolue vers le symphonique dark, "Thema I black bloc" lance des briques presque angoissantes. La noirceur de "Thema II Threesome" est aussi un moment fort, suspendu, très gothique en un sens, alors que "Langue étrangère" reste dans une dynamique joyeuse, décalée (un bruit distordu beau comme un coup de saxophone chez Lucrate Milk).
La composition de ce long format suscite des échos, des boucles, des retours. J'ai l'impression que cela correspond aussi à la structure du film qui sera projeté en salles. Les deux titres avec chant ("J'aime mon Pays" / "Possession") sont précisément des poèmes qui ne disent pas, qui camouflent sous différents visages les positionnements. Ce sont des cris d'alerte, foutraques et émouvants. Gageons que Claire Burger y a trouvé aussi une source à l'expression d'intimités mouvantes, inclassables, adolescentes.