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Cinéma
02/01/2025

Robert Eggers

Nosferatu

Genre : remake / post-expressionnisme
Réalisation : Robert Eggers
Production : Jeff Robinov / John Graham / Chris Columbus / Eleanor Columbus / Robert Eggers
Distribution : Universal Pictures
Date de sortie : 2024/12/25
Durée : 2h12
Posté par : Mäx Lachaud

Autant le dire de suite, Robert Houston Eggers fait partie pour nous des cinéastes les plus intéressants de ces dernières années. The VVitch, The Lighthouse et The Northman nous avaient totalement séduit. Forcément, l’annonce de ce remake du Nosferatu (1922) de Murnau, il y a déjà quelques années de cela, nous avait intrigués. Le goût du cinéaste pour la folk horror, l’occultisme, le paganisme et le fantastique littéraire pouvait se prêter à merveille à ce conte gothique. Le fait est que passer après un tel chef-d’œuvre n’est pas chose aisée, surtout que Werner Herzog avait déjà mis la barre très haut avec son hypnotique version de 1979, magnifiée par la musique de Popol Vuh et les performances exsangues et habitées de Bruno Ganz, Isabelle Adjani et Klaus Kinski. Le film L’Ombre Du Vampire (2000) d’E. Elias Merhige était lui aussi très intéressant, avec Willem Dafoe et John Malkovich. Donc s’inscrire dans la tradition des adaptations de Nosferatu est en soi un gage de qualité.

Le visionnage du film dans une salle bien remplie nous a tout de même laissé avec une impression mitigée. Pour le dire en deux mots, le Eggers aurait été, à mon avis, un bien meilleur film s’il avait été muet. Le recours aux jump scares dès que le comte Orlok apparaît, les effets sonores sursaturés du cinéma d’horreur contemporain, les râles et le jeu grandiloquent des acteurs ont fini par nous irriter, alors que tout le reste relève du sublime (les décors incroyables, les costumes, la photographie, les ombres, la réinterprétation actuelle de l’expressionnisme allemand, les références picturales dans la lignée du Herzog, l’atmosphère de sorcellerie, le romantisme de Caspar David Friedrich…).


Eggers va piocher chez des cinéastes qu’on adore qui ont tous travaillé sur la question de la possession démoniaque : l’introduction est empruntée aux Innocents (1961) de Jack Clayton, les crises d’hystérie et d’épilepsie d’Ellen Hutter renvoient directement à L’Exorciste (1974) de William Friedkin ou à L’Emprise (1981) de Sidney J. Furie. L’influence majeure est clairement à trouver chez Andrzej Zulawski et surtout son Possession (1981), ainsi que ses œuvres polonaises du début des années 1970 : La Troisième Partie De La Nuit (1971) et Le Diable (1972). Malheureusement le casting, à force d’en faire des tonnes, finit par plus nous faire penser à L’Amour Braque (1985) et aux gesticulations d’une Sophie Marceau et d’un Francis Huster. On est très loin des personnages de Murnau et Herzog, et leurs états de somnambulisme hypnagogique où l’on ne savait plus très bien s’ils étaient déjà des fantômes. C’est cette sur-énergie des personnages et leur dynamisme qui nous a un peu décontenancé. Néanmoins, en allant piocher dans la danse Buto, le personnage d’Ellen, interprété par Lily-Rose Depp, arrive à des mouvements graphiques et saisissants qui peuvent renvoyer là aussi aux performances expressionnistes du cinéma muet. D’où notre sentiment que le film aurait dû évacuer sa piste sonore pour souligner plus les sentiments de menace, de terreur et de fatalité.

C’est également sur ce personnage d’Ellen qu’Eggers prend le plus de liberté, mais là encore ses choix nous laissent sur une impression mitigée. L’érotisme quasi nécrophile et la symbolique du viol sont comme revus à la sauce féministe post-MeToo, on le sent notamment dans la relation entre Ellen et Friedrich Harding, interprété par Aaron-Taylor Johnson. C’est une approche valide et qui peut avoir sa pertinence quant à l’époque victorienne, mais cela ne va-t-il pas vieillir comme une mode actuelle des films d’horreur (Smile 2, The Substance, A Wounded Fawn…) ? De la même façon, les gros plans sur les visages des héroïnes qui grimacent et saignent presque à même la caméra peuvent évidemment rappeler le cinéma polonais ou soviétique mais aussi toute l’esthétique "selfie" que l’on trouve à foison dans les films récents d’horreur où on va aller au plus près des visages pour se confronter à l’abject.

Ces remarques restent plutôt des questionnements que des critiques. Il faudra voir le film dans quelques années pour savoir si le temps donnera raison à Eggers. En revanche, ce qu’on ne peut que constater, c’est qu’Eggers sait procurer des grandes expériences de cinéma, de nombreuses images sont saisissantes (avec le plan final en apogée) et toute la montée de Thomas Hutter (Nicholas Hoult) au château du comte est un miracle visuel. Bien sûr, on n’oublie pas non plus que ce tournage aurait dû avoir lieu après la réalisation de The VVitch et les rituels filmés, notamment en Transylvanie, sont un pur régal immersif, mélange de diverses croyances. Le look du comte lui-même renvoie à Vlad III L’Empaleur et, quand il suce le sang dans le cœur du jeune Thomas, on a bien là une des scènes les plus érotiques et sexuelles du film. Orlok est une bête, une présence diabolique et on pense immédiatement au pacte faustien et surtout au Faust, Une Légende Allemande (1926) de Murnau. Il est cependant dommage qu’un tradition gothique aussi germanique ne soit pas interprétée dans la langue de Goethe. L’anglais semble souvent incongru et Orlok est bien plus convaincant quand il nous assourdit avec une langue morte de Dacie.

Pour le reste, le film reste très proche de ses modèles, accumule les clins d’œil et nous régale de sa cinématographie sombre et bleutée (Jarin Blaschke), et de ses paysages et architectures (le château de Hunedoara en Transylvanie, le complexe Invalidovna à Prague, les intérieurs du Château de Pernštejn en Tchéquie, Lübeck en Allemagne), clair hommage à l’esthétique romantique sombre qui nous touche.