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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
22/11/2022

Sang Froid

"Nous aimons sortir de notre zone de confort et nous mettre en danger"

Genre : coldwave / afterpunk / gothic rock / darkwave
Photographies : Sang Froid 2022 © Newsålem [SF quatuor photo posée] + Sang Froid archives [source : SF official FB]
Posté par : Emmanuël Hennequin

Trio récemment devenu quatuor, les Français de Sang Froid se remarquent aujourd’hui dans le paysage des musiques sombres. Projet issu de la rencontre créative entre des membres de The Veil et Regarde Les Hommes Tomber, Sang Froid a posé une intention. Ferme. La tension émotionnelle et la force rentrée caractérisant cette musique sombre à guitares surprennent à chaque écoute de l’EP paru chez Black God Records, lequel réunit l’ensemble des enregistrements réalisés depuis 2021. S’ils n’ont jusqu’à présent publié que des formats courts, la force de personnalité et d’ambiance dégagée par leur binaire ne s’en remarque que davantage. Dans l’économie des couches et l’intensité des voix, dans son feeling ténébreux, Sang Froid rouvre aujourd’hui un champ dans l'afterpunk, la coldwave : de ces musiques sombres qui ont pris racine dans les 80’s et 90’s, n’oublient pas d’où elles viennent mais refusent la stagnation.

Obsküre : Sang Froid est un projet que vous menez en parallèle d’autres activités de groupes. Êtes-vous dans une action permanente de composition/enregistrement ou fonctionnez-vous par à-coups ?
JJS : Sang Froid est destiné à devenir un groupe pérenne. C’est un projet que nous prenons très au sérieux et que nous souhaitons développer autant que possible. Nous travaillons d’ailleurs sur un album pour ancrer le groupe dans la durée. Effectivement, il faut compter avec l’activité intense de Regarde Les Hommes Tomber, mais cela ne nous empêche pas de composer et de jouer quand les agendas ne s’empiètent pas.

Non pas sur un plan musical mais plutôt sur un plan humain, culturel mais aussi et surtout sur celui des valeurs, qu’est-ce qui unit les personnes de TC, JJS et Ben Notox ? Qu’est-ce qui, de même, les différencie ?
Le courant passe bien entre nous trois, c’est assez naturel et facile de travailler ensemble. Nous avons cette même passion pour les courants musicaux issus des 70’s – 90’s. C’est cette passion et cette culture du son qui nous unie. C’est aussi l’envie d’explorer, de créer, d’innover. Nous aimons sortir de notre zone de confort et nous mettre en danger. C’est une caractéristique importante chez Sang Froid. Les barrières et les codes nous ennuient. Nous avons récemment intégré un quatrième membre à la basse, qui partage cette curiosité et ce besoin de sortir de sa zone de confort.

En apparence, votre son est très naturel, uni. Votre production est-elle plus le fruit de ce qui vous rassemble ou de ce qui vous différencie/oppose ? En d’autres termes : la forme finale à laquelle vous parvenez est-elle le fruit d’un tiraillement ou d’une évidence, un instinct ?
Ce qui est intéressant dans Sang Froid, c’est que chacun a une attirance pour un style particulier sur la période 70’s – 90’s. Ben Notox est un immense fan de l’indus typé 90’s et un grand spécialiste de ces sons de synthé très reconnaissables. Moi-même, je suis féru de goth rock, de new wave et d’electro. Enfin TC adore la coldwave, les groupes de rock FM des années 1980, et les groupes goth metal des 90’s. On essaye d’intégrer du mieux possible toutes ces influences pour donner un son final à Sang Froid. Notre processus de composition est d’ailleurs très particulier. Je maquette souvent seul dans un premier temps. Ces démos sonnent très rock, puis je les envoie à Ben Notox qui retravaille complétement les sons pour arriver, au final, à quelque chose de très froid et droit.

Face aujourd’hui à l’estompe des contraintes liées à la Covid, positionnez-vous ce projet différemment aujourd’hui dans l’ordre de vos priorités ? Le temps que vous y consacrez a-t-il changé ?
En réalité, le projet a commencé avant le Covid, en 2019. La pandémie nous a cependant permis d’avoir du temps pour nous y consacrer pleinement et faire avancer la composition plus rapidement. Aujourd’hui, nous restons sur cette lancée. Nous avons la chance d’avoir plusieurs propositions de concert, ce qui permet de rester alerte et de bosser régulièrement le live (NDLR : Sang Froid est apparu cette année sur la scène du Motocultor, expérience dont sont issues les photographies live apparaissant sur cette page). Nous avons aussi la chance de faire des résidences pour bosser le son et les prestations scéniques. Parallèlement, le groupe continue à travailler sur de nouveaux morceaux. 

Votre musique semble s’inscrire dans certaines traditions, tout en développant sa propre identité. Qu’est-ce qui, dans le fond et la forme, vous attache aux mouvances dark des années 1980, de l’afterpunk au gothic ?
Clairement, le nom qui revient toujours dans la bouche des gens qui écoutent notre musique, c’est Sisters Of Mercy. On voue aussi un culte à Depeche Mode, Dead Can Dance, Cocteau Twins et Nine Inch Nails. Ce sont ces groupes phares qui ont posé les bases de notre musique. Comme eux, nous cherchons à trouver un équilibre parfait entre guitares et synthé, mais surtout à créer des ambiances sombres et froides. La voix de TC aide beaucoup en ce sens. Mais comme tu le dis, c’est important pour nous de créer notre identité. Et depuis l’avènement des groupes cités plus haut, la musique a beaucoup évolué. On introduit donc des éléments modernes dans nos morceaux. Par exemple, j’écoute énormément de post-rock. J’essaie donc toujours d’en introduire dans mon jeu de guitare, en créant des leads éthérés et des sons nébuleux. Tout comme Ben Notox qui parfois introduit quelques éléments electro et techno dans ses sons.

Dans l’afterpunk des origines, fin 70’s / début 80’s, ont pu se faire remarquer des résonances paradoxales et froides associant les contraires. On parlait de « funk blanc » à propos des premiers Killing Joke par exemple, et le dub s’invitait aussi chez Bauhaus. Les blancs des tissus urbains industrialisés du Royaume-Uni, par exemple, s’appropriaient ci ou là les rondeurs du reggae jamaïcain pour en tirer une expérimentation soit tribale, soit très urbaine dans sa résonance. Vous, vous appartenez à une autre génération de musiciens, et de vos œuvres connues jusque-là ne perce pas cette hybridation. Quelles sont les résonances que vous voyez entrer en collision/fusion à travers ce que vous développez à trois ?
Oui, je pense aussi à The Police qui a introduit beaucoup de reggae dans sa musique, tout en restant très rock british. Nous concernant, il peut exister ce type de contraires qui souffle le chaud et le froid. Mon jeu de guitare très rock, voire metal parfois va tirer vers le chaud ; et les sons de synthé de Ben Notox, très indus/techno, vont tirer vers le froid. Sang Froid navigue constamment entre ces deux eaux. C’est la voix de TC qui, au final, fait basculer l’ensemble vers la coldwave. Pour TC et Moi, Regarde Les Hommes Tomber nous a donné beaucoup de reflexes "metal". Lorsqu’on travaille pour Sang Froid, on doit sans cesse se déconstruire, se "démétalliser". Heureusement, Ben Notox nous aide beaucoup car lui est issu du monde goth / indus / electro. C’est le membre pivot du groupe. Cependant, sur les prochains morceaux à venir, les synthés sont encore plus présents. Donc une légère tendance vers le froid !

Le fait de signer sur Black God Records peut être vu comme une manière de sortir de l’autoproduction pure, même si pour l’heure cette maison de disques en est à son démarrage. Voyez-vous l’acte de signer comme une manière d’affirmer la dimension professionnelle de votre démarche, ou avez-vous signé sur BGR pour d’autres raisons ?
Le deal signé avec BGR a pour but de sortir nos quatre titres en format physique, vinyle uniquement. Mais clairement, le but de Sang Froid, dans un avenir proche, est de se professionnaliser, à l’image de nos autres projets.

TC, quelle est cette meute des loups à laquelle tu fais allusion sur "Psalms of the great Void" ?
TC : L’idée est de représenter cette connivence existante entre les personnes vivant en marge du monde diurne, dit "normal" : travailleur de nuit, chauffeurs routiers, gardiens, artistes, hermites…. Nous sommes nombreux. La lune est en quelque sorte notre soleil. Le loup symbolise également cette faim insatiable que beaucoup de musiciens ont en eux, appétit qui ne pourra jamais être satisfait totalement. Bref, j’écris davantage pour plaquer et ressentir des émotions, plus que dans le but de les expliquer. À la façon d’un peintre impressioniste, je ne souhaite pas figurer les choses mais bien en transmettre le fond, la sève première.

La concision de vos structures musicales et l’économie de couches dans votre son traduisent-ils un vœu conscient d’économie / de minimalisme dans ce que vous faites ?
JJS : Il est important pour nous de pouvoir jouer en live ce qu’on enregistre en studio. Évidemment, pour certaines pistes synthés, il y a un sampler qui les joue, mais on fait en sorte que chaque instru se suffise à lui-même en live. C’est aussi un souhait de Ben Notox qui me pousse toujours à simplifier mon jeu. Dans le monde du metal, on aime empiler des couches en studio. C’est n’est pas le cas dans la coldwave, où souvent, une seule piste guitare est suffisante. Trop de couches de guitare pourraient noyer les synthés. La coldwave est un style froid, direct et urbain. Le son doit donc être spontané, pour refléter une certaine urgence et une forme de dépouillement ou une sensation désabusée.

Gothic, afterpunk 80’s/90’s… Si chacun d’entre vous devait citer un groupe qu’il considère comme emblématique issu de ces mouvances et de ces époques, lequel citeriez-vous et pourquoi ?
Ben Notox & TC : The Sisters Of Mercy, parce qu’ils ont donné le ton et inspiré toute une génération.
JJS : Depeche Mode parce qu’ils ont montré qu’on pouvait faire de la bonne pop en utilisant uniquement des synthés et des boites à rythmes. Kraftwerk avait ouvert la voie. Ils se sont engouffrés et l’ont magnifié.

Et vos disque phare respectifs 80’s ou 90’s, dans le champ des musiques citées ?
Ben Notox : Skinny Puppy – The Process. C’est un chef d’œuvre des musiques ténébreuses et une bible du son
TC : Type O Negative – October Rust
JJS : Depeche Mode – Violator. What else ? 

Prochaine étape : 2023 s’annonce sous le signe du premier format long…
Oui, nous travaillons sur un album qu’on aimerait sortir fin 2023. Ce sera un format sept ou huit titres. Nous aimerions également intensifier notre présence en concert. L’actualité de Regarde Les Hommes Tomber va se poser, ce qui va nous permettre d’être plus présents sur scène avec Sang Froid.