À Toulouse, du 5 au 11 décembre 2022, se déroule la première édition de l’imposant Setmana Santa, festival gothique / darkwave / electro / post-punk au menu duquel s’entrechoqueront expériences visuelles, sonores et rencontres. Expositions, cinéma, shows live et DJ sets se disperseront dans la ville. Au menu, des invités de renom. Entre autres : She Past Away / The Cemetary Girlz / Potochkine / Minuit Machine / Jozef Van Wissem... Et ces choses, bien sûr, n'arrivent pas sans personne derrière. Les forces à l’œuvre derrière cette heureuse initiative, fille de l’expérience La Semaine Sainte (2019), se trouvent dans la communauté I GOTH You Babe, l’association 31-13 et Konstroy Events, dont le créateur Laurent Konstroy, initiateur de ces choses, a répondu à Obsküre. Sur l'histoire de l'édition 2022, mais aussi sur son parcours culturel et ses valeurs. N’est impossible que ce qui n’est pas tenté.
Obsküre : Quels enseignements as-tu tirés de ton ancienne vie d’activiste à Marseille et que tu as pu réinvestir dans les projets d’évènements à Toulouse ?
Laurent Konstroy : Je dirais dans un premier temps que j'ai tout appris sur le tas. Étant musicien et faisant partie d'un groupe, tout d'abord je me suis rendu compte que les salles de spectacle à Marseille nous était finalement accessibles dans la mesure où nous respections une certaine marche à suivre. Cela m'a donné confiance en moi pour la suite. Bien sûr j'ai fait des erreurs de logistique ou dans d'autres domaines mais ce que j'ai appris, surtout, c'est qu'il fallait oser faire les choses. Je me définis encore aujourd'hui comme un Don Quichotte des scènes de niche. En gros, peu importe que cela ne soit pas mainstream. Si j'aime une musique, je veux la défendre.
Enfin, et puisque tu parles d'enseignements, je te dirais que j'ai encore beaucoup à apprendre. C'est pourquoi je compte me lancer dans une formation au plus près de ce que je sais faire en vue de me dépasser et d'acquérir plus d'expérience encore.
Quel bilan as-tu tiré de l’expérience originelle La Semaine Sainte ?
Qu'un festival en novembre à Toulouse ce n'est pas un suicide commercial mais un suicide tout court (sourire). J'étais un rookie sur la scène locale, je le suis toujours d'ailleurs, et j'ai pris ce qu'on me donnait pour travailler mes dates. Résultat : La Semaine Sainte fut un événement que nous pourrons qualifier de "confidentiel", et c'est un doux euphémisme. Nous avions pourtant bien bossé le truc, on a même vu deux Allemands venir se perdre sur notre sacrée semaine. Nous avions de bons artistes mais nous avons dû subir la concurrence de certains concerts, ce qui ne nous a pas forcément aidé à réunir suffisamment de public. Je pense que c'est le sort de tout un chacun quand on monte un projet de manière spontanée, indépendante et pas forcément encore abouti. Mais le bilan reste toujours positif malgré la perte d'argent significative de 2019. Cela m'a donné envie de faire mieux à tous les niveaux, que ce soit sur le plan graphique comme sur le plan des têtes d'affiche. Et je pense que nous avons réussi, sur ce plan, pour l'édition 2022 de Setmana Santa.
Comment s’est montée la programmation de Setmana Santa ?
À la base je m'occupe de la programmation. Cette année encore j'ai commencé le projet en mode solo, en amont ; et une fois que tout a été posé, entre les salles et les artistes, je suis parti à la recherche de nouveaux bénévoles. J'ai fait de chouettes nouvelles rencontres et j'ai l'impression qu'une petite famille, ou du moins une bonne équipe, est en train d'éclore au sein de Setmana Santa. Ceci étant dit, je serai tout à fait enclin à écouter les propositions de chacun pour l'année prochaine.
Cette première édition de Setmana Santa peut être vue comme un "festival parcours", au sens où vous amenez le public à investir divers lieux en fonction des évènements (NDLR : ci-dessous, image du Metronum - source : Metronum FB officiel). Quel est ton rapport personnel à la ville de Toulouse, que tu habites depuis 2015 ? Comment le décrirais-tu ?
Je trouve tout d'abord que cette ville a beaucoup à offrir culturellement. Bien plus qu'une grande ville comme Marseille, par exemple. Je fréquente la plupart des salles de concert et j'ai donc eu envie d'amener l'événement là où j'aime aller moi-même. Le souci était de rassembler nos événements le plus possible en centre-ville pour que d'éventuels visiteurs puissent découvrir tous les aspects de la ville et se rendre aux événements sans trop de difficultés. Je pense qu'un festival de ce type peut réellement intéresser la ville, d'abord quant à sa démarche pluridisciplinaire. Le fait de mélanger salles de concert, lieux d'exposition ou encore salle de cinéma, souligne le potentiel culturel de la ville rose. Notre association, 31-13, a l'ambition de compter parmi les futurs acteurs locaux mais aussi régionaux en Occitanie.
Enfin, mon rapport à la ville reste très personnel. Quand tu conjugues à ta sauce les possibles qu'elle peut t'offrir, c'est un peu comme un Instagram : tu en fais ce que tu veux que ce soit. Et chacun peut s'illustrer ici à sa façon. Voilà ce que j'aime.
La dimension culturelle de la série d’évènements programmés (exposition, cinéma...) donne une dimension "exploratoire" dépassant le simple festival musical. Est-ce un concours de circonstances ou vois-tu cette ouverture comme faisant partie de l’ADN de votre projet ?
Il s'agit totalement du concept de la Setmana Santa. À l'image de 2019, le format exceptionnel reste le même, une semaine d'événements pluridisciplinaires autour des diverses mouvances de la culture goth et je n'en démordrais pas. C'est son ADN comme tu le dis si bien.
Spoiler alerte : la conférence de Yann Farcy (NDLR : le créateur du label L'Invitataion Au Suicide) est annulée, mais les expositions auront bien lieu. À terme j'espère peaufiner ce type de proposition hors concert. J'espère sincèrement que nous trouverons de nouveaux lieux adaptés à l'exposition par exemple. Nous sommes cependant très heureux du rapport que nous entretenons depuis 2019 avec le cinéma American Cosmograph et j'espère que nous continuerons cette aventure ensemble pour les années futures.
Nous espérons revoir Yann Farcy une autre fois mais restons un instant sur L'Invitation Au Suicide. La conférence initialement prévue a fait resurgir de vieux souvenirs, à savoir la signature de Christian Death sur ce label. Quel rapport émotionnel/personnel as-tu entretenu avec cette maison de disques ?
Adolescent, j'étais fasciné par cette scène. Depuis sa découverte à l'âge de douze ans, je n'ai eu de cesse, à l'époque, de me renseigner sur tous les groupes annexes et contemporains de mes idoles. Mon appétit était énorme et vers l'âge de seize ans nous avons découvert les plus hardcore du lot, à savoir Virgin Prunes (NDLR : photo ci-dessous - source : Virgin Prunes FB), Christian Death ou encore Alien Sex Fiend ; ou en France, Norma Loy et parallèlement la scène indus de l'époque. Bref, on en arrive très vite à découvrir d'obscures maisons de disques comme le fut L’Invitation Au Suicide. Leurs disques-objets super étranges nous fascinaient. Ils étaient durs à trouver, pressés à des exemplaires limités… bref, tellement obscurs, qu’il y avait là tout pour en faire un culte. C'est là que nous avons commencé à aller dans nos toutes premières conventions du disque afin de trouver la perle rare. Aujourd'hui je dispose de quelques pièces que j'ai enrichies dernièrement pour l'exposition. J'avais envie de rendre hommage à cette maison de disques pour que les plus jeunes la redécouvrent.
Tu as agrégé des énergies autour de toi pour constituer l’équipe te soutenant dans la promotion et l’organisation de Setmana Santa. Comment cette histoire s’est-elle construite ? Les forces en présence sont-elles les mêmes ou ont-elles évolué depuis La Semaine Sainte ?
Tout cela s'est construit assez naturellement à l'air du numérique et des réseaux : "hey, voilà ce que j'ai l'intention de faire ça vous intéresse ? Parlons-en en MP". Tu vois le truc ? Bien sûr dans un premier temps j'ai également demandé à d'anciens bénévoles s'ils étaient partants pour une nouvelle édition et la plupart ont répondu présent. Là où nous étions une petite douzaine en 2019, nous avons doublé nos effectifs cette année.
À chaque période de votre organisation, s’est maintenu le souci de créer un environnement visuel typé. Comment as-tu choisi les personnes en charge de la création visuelle et de la communication autour du cru 2022 ?
Et bien pas mal de nouveaux cette année. J'ai tenu à mettre les bouchées doubles, voilà pourquoi j'ai fait appel aux graphistes de Arrache-toi Un Œil. Ils sont entre autres responsables de certains visuels de festivals comme Le Pointu Festival dans le Var, ou Levitation France. Cette année, ils ont même fait une affiche spéciale pour le Hellfest. Ils sont à la fois artistes et graphistes, et proposent de sublimes affiches sérigraphiées à tirage limité pour les groupes qu'ils affectionnent ou pour une affiche de concert qu'ils vont réaliser. Je suis très fier que nous ayons une si belle affiche cette année grâce à eux et nous continuerons à travailler avec eux, à coup sûr. Je tiens également à remercier Mathieu Mercier alias MM Graphisme, à la création de tous les flyers et affiches annexes ainsi que de tout ce qui pouvait illustrer les évènements individuels sur les réseaux.
Tu as déployé de conséquents efforts matériels, organisationnels et financiers, pour ramener le public vers les salles et l’expérience live pour l’édition 2022 de Setmana Santa. Quelles valeurs t’animent, toi et ton équipe ?
Eh bien en vrac et de manière non exhaustive, je dirais la culture DIY, mettre à jour la richesse d'un milieu underground, aider les scènes émergentes et les artistes locaux et régionaux, la transparence et la sincérité dans notre projet, l'inclusion, nous sommes contre toute forme de discrimination, le non sectarisme musical, des prix accessibles pour toutes et tous (notre pass 5 jours est à 50 €)... Cette année enfin, dans notre équipe plusieurs personnes sont attachées à des valeurs LGBTQ+ et j'ai grand plaisir à faire leur connaissance et en apprendre peut-être un peu plus sur le sujet.
Question ouverte, pour finir. Tu es un acteur ancien des scènes sombres. Qu’est-ce qui, en ton for intérieur, a fait que tu restes à ce point attaché à ces mouvances, et que tu continues aujourd’hui à les défendre ?
Tu vois Emmanuel, j'ai beau avoir découvert ce milieu dès ma plus tendre jeunesse, si je suis comme tu dis un "acteur ancien des scènes sombres", elles sont avant tout multiples me concernant. Car j'ai plus d'une vie musicale. J'ai bien démarré dans la culture gothique, que je préfère de loin nommer post-punk ou cold wave, mais j'ai également officié dans un groupe metal en tant que chanteur/rappeur. J'ai mixé du dub, de la drum’n’bass, du dubstep, et j’ai organisé tout autant de soirées jusqu'à des plus extrêmes en mode breakcore ou crossbreed. Cette somme d'expériences peut se résumer picturalement en un seul mot : sombre. Car dans tous ces styles, c'est ce qui m'a le plus attiré, ce que je cherchais souvent à souligner, sélectionnant minutieusement mes morceaux afin de véhiculer une certaine énergie. Le sombre est élégant, émotionnel, poétique, bref : il parle à l'âme. Le reste n'est qu'illusion.