Le 26 octobre dernier, Annelise Morel aka SIERRA offrait au public angevin une ultime date en clôture à son Autumn Tour : l’occasion idéale de nous entretenir avec la Britto-Parisienne et faire le point sur l’un des projets EBM français les plus enthousiasmants de ces dernières années. Pour ceux qui n’ont pas encore eu l’opportunité de la voir sur scène, une dizaine de dates est déjà annoncée en France et en Belgique pour mars 2025…
Obsküre : À la création de SIERRA, quelle ligne artistique directrice souhaitais-tu donner au projet ? Existait-il un concept sous-jacent ?
Sierra : Dès le commencement, j’ai eu envie de faire une musique cinématographique, génératrice d’images et d’histoires. La musique à l’image est un domaine qui m’a tout de suite intéressée. J’ai travaillé dans la production télévisuelle, pour le cinéma, et j’ai fait la rencontre de compositeurs qui m’ont donné envie de me lancer dans le projet… Et puis, j’aime la musique dark sous toutes ses formes ainsi que la french touch 2.0 et l’électro un peu sale… Voilà quel était le concept de base...
Sierra ne pourrait être qu’un projet EBM parmi tant d’autres mais j’ai le sentiment que sa dimension atmosphérique est tout aussi importante que son aspect dansant. Je pense à un morceau comme "Hide", par exemple. Cet équilibre apparent est-il une donnée fondamentale de ton identité musicale ?
Oui, il est important pour moi d’avoir des morceaux forts qui permettent de danser mais je ne souhaiterais surtout pas me cantonner à cette dimension et créer un album qui soit uniquement constitué de ce genre de titres. J’aime aussi les nuances, les variations, ce qui légitime la présence de morceaux plus atmosphériques et dénués de percussions…
Tu as d’ailleurs créé pour l’univers du jeu vidéo…
Oui, la musique à l’image inclut naturellement le jeu vidéo ; j’ai créé la bande son de Vampires : The Masquerade, un jeu de vampires qui m’a clairement inspirée. L’idée est toujours de travailler sur des projets qui me ressemblent et le gaming fait partie intégrante de ma vie.
J’ai le sentiment, parfois aussi, que la dimension narrative de ta musique s’avère saillante, comme sur le morceau "Two-headed Birds". Ta musique, avant tout dansante, raconte-t-elle aussi des histoires ? Si c’est le cas, quelle en est la source principale d’inspiration ?
Les morceaux développent effectivement toujours des histoires. Comme je l’ai dit, c’est bien le cinéma qui est à la base de toutes mes inspirations. Alors, cela ne veut pas dire que je développe des scenarii – comme pour l’EP Strange Valley, pour lequel j’avais créé des dessins, un storyboard, un tableau bien précis pour chaque titre. Pour les EPs suivants, je n’ai pas poussé le travail aussi loin mais demeuraient malgré tout un concept de base et un mood board… Les histoires ne sont pas nécessairement connectées à ma vie réelle puisque Strange Valley s’appuyait sur une histoire à la Mad Max… mais "Gone", mon deuxième EP, faisait ressortir de manière brute toutes mes émotions personnelles à un moment précis de ma vie. Et c’est de plus en plus le cas quand je compose...
Avec Left Behind, on sent que le son s’est volontairement durci et alourdi pour donner une musique à la croisée des premiers Gesaffelstein et de Boy Harsher – il suffit d’écouter des titres comme "Trappe" ou "Inner Speech". Qu’est-ce qui a motivé cette direction plus virile et pesante de ta musique ?
Alors, il faut savoir que Left Behind est une compilation de tous les singles que je n’avais pas sortis. Pour le coup, cet EP est dépourvu de concept. Il réunit donc à la fois des morceaux récents et certains plus anciens. Il n’y a ainsi pas de volonté particulière de "durcir" le son… Il s’agissait juste de sortir ces morceaux sur un format physique pour contenter ceux qui sont attachés au vinyle… Concernant leur aspect plus "viriliste" comme tu le qualifies toi-même, j’avoue ne pas du tout penser à cela. Je vois ce que tu veux dire, naturellement, mais cet aspect est avant tout dû au fait que j’aime les morceaux qui donnent envie de se défouler, d’aller dans les extrêmes, de laisser libre cours à ce fantasme de l’hyper-puissance… Maintenant, je ne suis pas très fan du mot "viriliste" auquel je préfère sans commune mesure celui de "puissance"… C’est un terme qui est très connoté et j’avoue être très détachée de tout cela en tant qu’artiste…
Le fait d’être une femme dans un milieu pleinement dominé par les hommes t’amène-t-il à créer et à apporter justement à ton art une touche typiquement féminine ou ces considérations te sont-elles totalement étrangères ?
Je comprends qu’on m’en parle mais je ne suis pas vraiment à l’aise avec ces questions de genre et d’étiquettes. Je me fous littéralement d’être une femme. Je ne me pose pas de questions en ces termes et ce n’est pas évident pour moi de me voir régulièrement ramenée à mon genre… Je comprends, bien sûr, cette envie et cette nécessité de mettre en avant les femmes mais, encore une fois, tout cela ne me ressemble pas. Il n’y a, selon moi, aucun rapport entre l’art que je produis et le fait d’être née dans un corps de femme. Mais je trouve cela très intéressant de soulever le débat sur ces questions.
On n’est jamais très loin non plus de l’univers fétichiste ou SM. Dans quelle mesure cet univers trouve-t-il un écho dans ta musique ?
L’EBM est par nature très proche de cet univers et il m’est arrivé d’être contactée pour œuvrer dans ce genre de soirées, mais c’est un environnement avec lequel je ne suis pas familière et qui n’influe en rien sur mes créations.
Tu es souvent avare de paroles mais elles sont bien présentes en toile de fond comme sur "Gone". Quelle place tiennent-elles dans tes morceaux et comment abordes-tu ce travail d’écriture à la limite du spoken word ?
Oui, je le conçois aussi comme du spoken word… Je chante davantage sur certains morceaux mais, en règle générale, ce sont essentiellement des mots que je balance ; j’y attache toutefois une grande importance. Ces mots surgissent très rapidement dans le processus de création ; ils me viennent naturellement, comme on trouve trois accords spontanément… Je suis d’ailleurs davantage sensible au sens des mots qu’à leur musicalité, même si j’avoue aimer certaines sonorités – comme celles que l’on entend dans le mot "fire" - qui me sont agréables et que j’aime scander sur scène.
Comment as-tu abordé la composition de "A Story of Anger" ? J’imagine qu’on n’appréhende pas de la même manière un format court et un album à part entière ?
La différence n’est pas si grande pour ma part car mes EP étaient déjà assez conséquents – cinq ou six titres… J’ai gardé l’habitude du mood board et fait en sorte que mes morceaux soient liés les uns aux autres… Ce qui change, c’est le temps de l’écriture, l’envie d’avoir des morceaux plus variés, l’envie également d’aller rechercher des collaborations… Rien n’était donc différent sur le plan de l’écriture mais le développement m’a demandé plus de temps et de moyens financiers, cela va sans dire...
Quel est le concept à l’origine de l’album ?
Ce qui m’inspire avant tout – au risque de paraître banale – ce sont les émotions, et plus particulièrement celles liées à la colère sur cet album. Je la trouve intéressante car elle est souvent dénigrée dans notre société. Elle nous rappelle qu’il y a quelque chose en nous qui ne va pas dans le sens de nos valeurs. C’est une émotion qui nous ramène à ce que nous sommes, à notre identité… Je suis moi-même très souvent en colère, même si je ne l’exprime pas forcément de manière ostentatoire.
C’est une évidence que tu abordes aussi différemment le chant en t'assumant davantage de ce point de vue et c’est un aspect de toi que l’on retrouve moins sur scène. Un morceau comme "Stronger" en est un parfait exemple.
C’est indéniable que j’ai voulu tester de nouvelles choses car, encore une fois, cela ne m’intéresse pas de faire toujours la même chose et d’appliquer la même recette… Je veux avant tout m’amuser, avec le risque, bien sûr, que cela ne me plaise plus avec le recul et que cela ne plaise pas non plus à mon public. J’ai malgré tout décidé de prendre ce risque et j’en prendrai sans doute d’autres par la suite.
Comment envisages-tu les prestations de SIERRA sur scène ?
J’envisage la scène sous le prisme de la narration et chaque titre constitue pour moi un tableau. La notion de nuance est aussi très importante : certains titres sont plus atmosphériques et laissent davantage de place à la réflexion ; d’autres où la confrontation avec les spectateurs sera plus directe… Et puis, je m’adapte également au public que j’ai devant moi… Par exemple, au Hellfest, il n’était pas question de jouer un morceau comme "Stronger", je savais qu’il ne serait, dans ce cadre précis, pas très adapté… J’ai un show de base et, selon les endroits, je vais soit enlever certains morceaux soit, au contraire en rajouter… Enfin, je vais aussi m’adapter à l’énergie du public qui est imprédictible et c’est ce qui fait toute la magie de la scène.
C’est clair que tu transgresses la notion de genre et de scène. La promotion de cette soirée te présente comme un projet électro-metal, une dénomination que j’ai peine à relier à ta musique, que je qualifie pour ma part d’EBM… L’expérience m’incite à penser que ce genre de considération intéresse en définitive bien peu les artistes mais saurais-tu me dire d’où vient cette capacité à fédérer ces différentes scènes autour de ton projet ?
Quand j’ai commencé à travailler sur mon projet, je ne me suis jamais posé ce genre de questions. J’ignorais totalement que ma musique allait plaire à un public "metal"… Moi-même, je n’ai jamais écouté de metal de ma vie, C’est un véritable mystère pour moi… Sans doute que le caractère extrême et direct de ma musique génère chez ce public en particulier un véritable écho… On retrouve chez les groupes de metal cette volonté de frapper les sons, d’avoir de grosses basses et de gros kicks alors que ce n’est pas forcément la volonté de tous les projets électro de mettre ces aspects-là en avant… C’est en définitive assez déroutant car, pour ma part, j’écoute essentiellement de la musique électronique ; alors, me retrouver sur les scènes du Hellfest ou du Motocultor, je trouve ça génial...
À quel morceau es-tu le plus attachée et pour quelles raisons ?
À plusieurs morceaux et pour des raisons différentes. "Unbroken", j’y suis forcément très attachée car c’est le morceau qui m’a fait connaître, celui qui est le plus streamé sur les plateformes ; c’est aussi un morceau qui m’a permis de sortir d’un moment difficile de ma vie ; il m’a permis de sortir la tête de l’eau et de reprendre confiance en moi. Et chaque fois que je le joue sur scène, je repense fatalement à tout cela… Et puis, il y a des morceaux que j’aime parce que j’ai eu tout simplement beaucoup de plaisir à les composer. C’est le cas de "Traum" sur l’album qui est fondé sur une sorte de mélancolie et d’harmonie… Mais il y a aussi un certain nombre de morceaux que je n’aime pas comme "Two-headed Birds", qui correspondait à une phase d’expérimentation mais qui ne me ressemble absolument pas ; je ne l’ai jamais joué sur scène et je ne le jouerai jamais.
Pour terminer cet entretien, que peut-on souhaiter à SIERRA à moyen terme ?
De continuer de tourner en France et en Europe… De continuer tout court car j’aime faire ce métier. Je veux donc que ça dure, je veux remplir des salles et avoir davantage de visibilité, pas seulement en Allemagne, dans les pays nordiques ou aux Etats-Unis, qui restent le pays où j’ai le plus de retours.