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Live report
03/10/2025

Solventis + Denuit

Un moment de défoulement, de rencontre, de connivence

Lieu : Salle Altigone | Saint-Orens-de-Gamevile
Date : 10/09/2025
Photographies : Artbox / Martijn Berlage
Posté par : Sylvaïn Nicolino

La grande salle de théâtre Altigone propose des concerts, je l’avais vu, mais je ne savais pas qu’ils ouvraient aussi un espace dans leur café. Ambiance intimiste, quasiment du concert privé ce soir puisque nous sommes autour d’une cinquantaine à avoir rallié les tabourets chaises et tables rondes de bar. Rapidement nous choisirons de nous lever lorsque la musique se développera.

Le merchandising est présent, avec un stand pour chacune des formations ; une étrange machine à boules-surprise trône sur celui de Denuit, avec une pièce, on peut gagner des petits objets à collectionner ou un bon pour un disque. Pas mal, mais je ne suis pas joueur. Les derniers vinyles de Black Sun vont vite partir, les goodies sont multiples, allant jusqu’aux vêtements siglés.

Solventis prend la scène avec un son bien agencé entre les parties diffusées et celles jouées en direct : Une guitare folk et une guitare électrique, les deux chants. Je n’avais écouté que distraitement et, en concert, la présence est réelle, le plaisir de jouer est évident et les capacités techniques sont fortes. Autrement dit, elles savent jouer et tenir un auditoire. Sur le plan de la musique, j’ai aimé beaucoup de choses, sans doute trop. On a un projet avec une image féérique, aérienne (un peu comme Alcest), des martèlements et des chants en lien avec les scènes pagan (un duo de voix assez impressionnant, proche des jeux de Dead Can Dance sur The Serpent’s Egg), une guitare dark folk, l’autre qui s’habille americana (je pense alors à Tarnation pour cet esprit plus southern gothic) et se déshabille en mode shoegaze / blackgaze ; et puis des cris (de la part des deux chanteuses) qui plairont aux fans des premiers morceaux de Kaelan Mikla. On a aussi eu droit à un joli jeu de chant pour une sorte de ballade médiévale poignante.

Ce trop plein d’idées n’est pas simple à digérer. Alors que tout est très bon dans chacun des registres, j’ai encore du mal à me positionner, à trouver un équilibre. La qualité du travail et de l’interprétation sur ces titres pas trop longs laissent augurer d’un potentiel élevé. Les tours de force sont multiples tout au long de leur set et il est manifeste que la scène leur fait du bien. Quelques mots échangés en fin de soirée témoignent aussi de la gentillesse de Sol. Les deux avaient été interviewées il y a quelques mois de cela sur Obsküre.

Avec quatre albums, Denuit a aussi joué sur des registres multiples. C’est parfois un grand écart, comme celui entre "Cyanure", travaillé, complexe, empreint de réminiscences new wave (je persiste à y entendre des notes de clavier qui me rappellent "Cambodia" de Kim Wilde ou la Bande originale de Furyo) et leur futur morceau quasiment Eurodance (ne pas tomber dans les travers faciles de Funkervogt). Un titre trop simple, au refrain martelé. 

Bien sûr, le temps a passé et le projet s’est détourné de ses racines les plus sombres ; ça a été dur car j’adorais la voix maniérée et poussée dans les graves de Black Sun comme sur "Blood Tears", Lis était alors proche de Light Asylum ou Whispering Sons. Désormais, comme pour Minuit Machine, c’est plusieurs pas vers les scènes technos / electro qui ont été engagés. On a des moments où l'EBM est lorgnée dans sa dureté ; des tempos pour salle de muscu, et on ne boude pas son plaisir. Le groupe sait manier les compositions pour assurer de la mélodie : le résultat permet des morceaux catchy, élégants et fédérateurs, comme "Banshee" ou "Cendre" sur lequel je reste extatique tout en chantant à mon tour.

Le groupe ne s’y trompe pas et sait qu'il a son rôle à jouer en engageant le public, car la concurrence dans cette nouvelle école de la dark electro est forte. Lis lance les cris aigus de "Nocturnal Visions" pour qu’on chante à notre tour, Lis vient dans la petite foule compacte, Ivi danse de plus en plus fort et se moque de nous parce que nous dansons moins que lui... C’est entraînant, plaisant : grands sourires sur les visages, essais de copiage des chorégraphies acrobatiques de Lis. On passe un très bon moment.

Le son est là aussi parfaitement dosé dans cet espace et on entend tout : des morceaux composés sur une basse impressionnante, une mélodie lead, des triturations qui remplissent l’espace entre les deux tout en laissant place au chant.  

Le virage pris par le groupe est celui qui peut lui attirer un succès plus important : 225 000 vues pour "Cendre" quand "Black Sun" n'en cumule que 22.000. Lis tient la scène. J’avais peur de son positionnement sexy : par exemple, je n’aime pas la communication visuelle de Aux Animaux, que je trouve facile et stéréotypée. Je craignais une vulgarité chez Denuit. 

Je me suis fait du mauvais sang pour rien : leur jeu est basé sur l’idée du couple, elle s’adresse à Ivi autant qu’à nous, et les deux sont "jolis". Son rack d'effets à elle est posé sur le même plan que son synthé à lui, permettant leur face à face. C’est beau à regarder. Quand elle se tourne vers l'audience, les regards de Lis frôlent les yeux du public sans pousser à la provocation, y compris sur les passages les plus aguicheurs. Elle capte l’attention, chauffe la salle, mais garde une distance artistique (comme Gitane Demone). C’est un spectacle, avec un travail sur chaque titre (la main pour faire une longue vue, le corps qui se cambre, les visages cachés, le bras qui se tord. C’est très visuel, c’est un talent réel car malgré la préparation minutieuse, ça ne sent pas l'école américaine insupportable où chaque soir on aura droit au même spectacle à la seconde près.

Leurs astuces scéniques sont précises : un jeu avec la petite lampe-torche répété sur deux ou trois morceaux (et chaque fois différent) crée un cocon plus resserré en effaçant dans le noir le reste de la scène. Evidemment, avec les conditions que nous avions (les plus éloignés étaient à sept mètres du plateau) et l’envie de passer du bon temps, le concert a été un moment de défoulement, de rencontre, de connivence. Et le partage se poursuit au stand merchandising : nombreux sont ceux qui viennent saluer et remercier.