Digital Media / Dark Music Kultüre & more

Articles

Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

Image de présentation
Interview
27/05/2019

Sopor Æternus & The Ensemble Of Shadows

Anna-Varney : "Les mots 'groupe' et 'collaboration' n'ont aucun sens pour moi"

Album : Death And Flamingos
Label : Trisol
Date de sortie : 2019/02/08
Photographie : #1 : Joachim Lütke // #2 : image promo – single 12 inch Vor Dem Tode Träumen Wir (2019) // #3 : Achim Webel & Nathalie Shau Visuel // #4 : Ingo Römling & Natalie Shau Visuel // #5 : DR
Posté par : Emmanuël Hennequin

Né à la fin des années 1980, l’entité allemande Sopor Æternus théâtralise les souffrances. Les supplices sont ceux de la chair et de l’esprit d’une créature homme mais dite aujourd’hui neutre : Anna-Varney Cantodea. Trente ans de musique au compteur. Première démo en 1989 (Es reiten die Toten so schnell). Premier vrai album en 1994 – titre intégral : … Ich töte mich jedesmal aufs Neue, doch ich bin unsterblich, und ich erstehe wieder auf; in einer Vision des Untergangs... Depuis, Anna-Varney a fait de sa vie son art : chaque disque (une quinzaine de formats longs) témoigne d’une étape de transformation ou d’émotion : une évolution personnelle minée de tout temps par les affres de la dépression et la question identitaire. Le décorum est planté, et il compte dans cette histoire. Musicalement, le projet est resté fidèle à certaines constantes : si le déchirement plaintif de la voix concourt fortement à la marque de fabrique, Sopor Æternus a marqué la dark wave allemande par un environnement visuel spectaculaire et une musique de bois, cordes et cuivres contrôlée par la seule créature. Elle, tenue pour responsable (sauf mentions spéciales) de la majorité des instrumentations disséminées tout le long de l’œuvre. Une esthétique de la douleur en forme d’épopée intime. Orientations : néoclassique, musique médiévale, baroque.  



Et voilà 2019. Un tournant. Le nouvel album, Death And Flamingos, révise la forme avec une certaine ardeur. Métamorphose plus que simple inclination stylistique : des guitares acides et une authentique section rythmique formulent le désir musical 2019, pour un essai à part. La créature, jusqu’à aujourd’hui, ne s’est que peu exprimée sur ce disque, mais Obsküre est allé lui arracher quelques révélations. Ça s’est passé quelques jours avant la sortie, fin mai, du single douze pouces Vor Dem Tode Träumen Wir – mais n’allez pas lui parler de deathrock, Anna-Varney n’aime pas qu’on choisisse les classifications à sa place.
Tête de mule.

 
Obsküre : Le changement de direction dans le son opéré par le nouvel album studio Death And Flamingos est assez… radical. Qu'est-ce qui a conduit à cela ? Certains événements peuvent-ils expliquer cette transformation ?
Anna-Varney Cantodea : Oh, le changement… je peux te dire exactement comment tout cela est arrivé. Tout un contexte a conduit Sopor Æternus à cela. Au départ, je voulais publier une interview, que j’avais réalisée pour un magazine Instagram en mars 2017, sous la forme d'un nouvel enregistrement spoken word… Tu sais, comme je l’avais fait auparavant avec une interview pour ton propre magazine (NDLA : Anna-Varney a bonne mémoire. L’entrevue donnée pour le numéro 23 d’Obsküre Magazine papier a en effet atterri sur un beau vinyle tiré à 500 exemplaires chez Apocalyptic Vision, intitulé sobrement Interview [September 19th, 2014]). Bien. J'ai d'abord fait la pochette, bien que j'aie finalement fini par utiliser quelque chose de différent… et pour moi, cela ressemblait tant à un cliché deathrock californien, que je me suis dit que ce serait un vrais gaspis si le contenu du nouvel album ne correspondait pas à l’esprit de cette couverture.  J’ai été plus que relax dans l’approche. Figure-toi que j’appelais secrètement ce travail "mon album comédie" ! Après tout, c'était "seulement" une interview, pas un "vrai" album de Sopor Æternus - juste quelques mots oubliables, accompagnés d'une ligne de basse et d'un bruit de guitare aléatoire. Je ne m'inquiétais de rien, parce que la "musique", tout comme les mots, importaient peu. C'était juste des "trucs", ça n’avait pas forcément à être bon – comprends-tu ce que j'essaie de dire ? (NDLA : a priori oui, Anna-Varney.) Enfin bref ... je n’avais jamais donné dans le deathrock avant. Je n’avais même quasiment jamais recouru à une guitare électrique dans ma musique jusqu’à présent… J'ai donc décidé de chercher à quoi cet album pourrait ressembler... et puisque les deux seuls disques de deathrock auxquels je puisse penser sont l'album séminal Only Theatre Of Pain de Christian Death et le premier album éponyme de Mephisto Walz – qui se trouvent être aussi les deux seuls que je possède, j’ai engagé une phase de réécoute de ces enregistrements... ce que je n'avais fait depuis des lustres. De plus, et pour des raisons évidentes, je ne les avais jamais écoutés de manière analytique. Et quand j’ai commencé à le faire, je me suis tellement ennuyé au bout de dix minutes, que ça m’a porté sur les nerfs et il m’est devenu évident que je devrais faire quelque chose de tout à fait différent. Quelque chose de singulièrement Sopor. C'est pourquoi, à y regarder de plus près, Death & Flamingos n'est pas du tout deathrock. Si c’est quelque chose, c'est du "Sopor-rock". Mais bonne chance pour expliquer cela à quelqu'un qui n'a même pas entendu l'album. Ce qui est intéressant, c’est que ce disque se soit finalement transformé en un album de Sopor Æternus, réel et signifiant... J’ai conservé en quelque sorte l’attitude "légère" que j’avais quand j’ai abordé l’album et, par conséquent, c’est la première version de Sopor qu’il peut être amusant d’écouter !... Et par le terme "amusant" je veux simplement dire que l'expérience ne sera pas totalement douloureuse ni épuisante (clin d’œil).

Comment as-tu fait le choix des nouveau musiciens présents sur cet album : Sascha Neuhardt et Joerg Dudys ?
Je ne recrute jamais personne. C'est le travail de Patrick, l'ingénieur studio (NDLA : Patrick Damiani, collaborateur du Rome de Jerome Reuter par exemple). D'habitude, je lui envoie simplement un message, lui signalant que "je veux enregistrer un nouvel album et voilà ce dont j’ai besoin." Charmant, je sais. C'est juste que… je n'ai généralement pas la patience nécessaire pour traiter avec les gens. Mais j'ai aussi tendance à être très loyal et tant que personne ne m’emmerde, je ne vois aucune raison de le remplacer. Marcel Millot par exemple (NDLA : troisième musicien crédité dans l’album aux côtés de Sascha et Joerg), joue déjà de la batterie sur les quatre derniers albums de Sopor Æternus.
 
Y a-t-il alors une dimension personnelle dans ce partenariat avec d’autres musiciens ou focalises-tu sur les capacités musicales des intervenants ?
Ce sont tous des musiciens de studio embauchés pour faire les disques. C'est tout.
 
Un groupe intervient donc en studio pour Death & Flamingos mais y a-t-il eu une préparation "en groupe" ? Autrement dit : avez-vous répété ensemble avant les séances ?
Il n'y a jamais de répétition. La musique et les paroles de Sopor Æternus ne sont interprétées qu'une fois... et c'est en studio que le processus d'enregistrement est effectué. Du moins c'est comme ça que ça se passe normalement et cela reste vrai pour moi. Mais pour Death & Flamingos, j’ai envoyé les partitions à l’avance aux musiciens pour qu’ils puissent les préparer, chose que je ne fais généralement pas non plus. Habituellement, je les rencontre en studio le ou les jours de la session d’enregistrement et d’une certaine manière, c’est : "Voilà, c’est la musique. Jouez-la – et vous feriez mieux de la jouer exactement comme je l’entends dans ma tête !" Mais vu que ce setup minimal de groupe impliquait une toute nouvelle approche, il était plus sûr, je crois, de faire connaître aux musiciens la teneur de ce à quoi ils s’engageaient en amont. Les choses devaient couler de manière organique.

Sascha, Marcel et Joerg ont-ils seulement servi la cause du chef d'orchestre, à savoir toi seul, ou as-tu ouvert la porte à quelques propositions extérieures sur le plan musical ?
Comme il est dit dans "The Boy Must Die" : "La voix et la vision doivent être une !" – et je ne plaisantais pas à ce sujet. Je suis tout à fait sérieux Je ne crois pas en l'idée de groupes et / ou de collaboration. Ces mots n'ont aucun sens pour moi. Je veux dire… bien sûr, oui, si vous visez le grand public et que votre objectif est de produire un album commercialisable supposé décrocher un palmarès, alors, oui. Mais ce n'est pas ce que je fais. Ça ne l'a jamais été.
 
Nous ne nous risquerons pas trop, dans ce contexte, à suggérer qu’il existerait un "nouveau groupe" autour de Sopor Æternus. Pourrais-tu néanmoins maintenir le collectif actuel en place ou s’agit-il stricto sensu d’une expérimentation ?
C'était "juste un album", vraiment. Bien que… cela étant dit, maintenant que la guitare électrique a été introduite avec succès dans l'univers musical de Sopor – avec succès, dans le sens où j’aime le résultat – il est fort possible que je l'utilise encore dans le futur. Nous verrons.
 
L’absence de toute activité live, ligne de conduite chez Sopor, est-elle un principe inébranlable au regard des derniers développements studio ?
Je ne sais pas ce que l’avenir apportera. Cependant, je n'aime pas les gens et déteste les concerts... alors, il faudrait vraiment que quelque chose d'absolument extraordinaire soit mis en œuvre pour que cela change – et cela, mon cher Watson, est très… improbable.

Diskögraphie [albums]
  • ...Ich töte mich jedesmal aufs Neue, doch ich bin unsterblich, und ich erstehe wieder auf; in einer Vision des Untergangs... (1994)
  • Todeswunsch (1995)
  • The Inexperienced Spiral Traveller (1997)
  • Dead Lovers' Sarabande (Face One) (1999)
  • Dead Lovers' Sarabande (Face Two) (1999)
  • Songs From The Inverted Womb (2000)
  • Es Reiten Die Toten So Schnell (2003)
  • La Chambre d'Echo (2004)
  • Les Fleurs du Mal - Die Blumen Des Bösen (2007)
  • A Triptychon Of Ghosts (Part Two) - Have You Seen This Ghost? (2011)
  • Poetica - All Beauty Sleeps (2013)
  • Mitternacht (2014)
  • The Spiral Sacrifice (2018)
  • Death & Flamingos (2019)