La nouvelle parution de Sqürl illustre parfaitement l'idée que le son et l’image sont profondément imbriqués et qu’au fond, la frontière entre les arts, le 4ème et le 7ème, la musique et le cinéma, est – heureusement – bien poreuse.
On savait Jim Jarmusch, qui a rejoint Sqürl en 2010, féru de musique. Analyser le goût du cinéaste pour la musique nous obligerait à reprendre l'intégralité de sa carrière, prolifique et intense. Aussi, simplement poser quelques jalons choisis subjectivement pourra aider à comprendre l'implication de Jarmusch dans ce nouvel album de Sqürl. Dès ses premières œuvres, le lien étroit que tisse Jarmusch à la musique est essentiel notamment à travers sa proximité avec divers compositeurs et principalement Tom Waits, présent dès 1986 dans le film Down By Law et acteur récurrent chez Jarmush jusqu'à son dernier film The Dead Don't Die en 2019. Iggy Pop a également fasciné Jarmush, non seulement par son travail d'acteur mais également pour ce qu'il représente, d'où l'envie de consacrer un documentaire aux Stooges en 2016, le très bon Gimme Danger.
La musique imprègne donc l'œuvre de Jarmusch, imbriquée de telle manière qu'elle devient centrale dans le superbe Only Lovers Left Alive (2014), avec une scène magnifique dans laquelle la chanteuse libanaise Yasmine Hamdan envoûte.
Jarmusch n'a pas seulement filmé des musiciens, il s'est lui-même investi dans la musique en participant à de nombreux projets, entre autres l'écriture de bandes originales de films, notamment avec le musicien nééerlandais Josef Van Wissem (à écouter la superbe collaboration The Mystery of Heaven paru en 2012 sur le label Sacred Bones Records).
Sqürl, au sein duquel Jarmush joue de la guitare aux côtés de Carter Logan, était déjà actif pour la création de la bande originale d'Only Lovers Left Alive et la notion de musique cinématographique de ce projet prend tout son sens : en 2015, le groupe avait d'ailleurs mis en musique des projections d'œuvres de l'artiste Man Ray.
La nouvelle production de Sqürl s'inscrit de façon encore plus intime dans ce lien entre musique et cinéma. Le projet intitulé Some Music for Robby Müller est en réalité la création d'une musique composée pour un documentaire de Claire Pijman sur la vie de ce dernier, célèbre directeur de la photographie ayant souvent collaboré avec Jarmusch et décédé en 2018.
Le groupe a voulu témoigner de l'amour de Robby pour la captation de lumières particulières, pour son goût immodéré de lieux chargés d'émotions, pour son adoration des images d'objets en mouvement (train, voitures). Cette sortie est ainsi véritablement charnelle, un hommage rendu à un homme et à son art. Pour Jarmusch et Logan, il s'agit de revêtir leurs plus beaux habits de musiciens pour célébrer celui qui en son temps avait aidé à porter la beauté des œuvres d'autrui. La musique est touchante, forcément cinématographique, une approche en retenue attestant du profond respect de Sqürl à l'égard de Robby Müller. L'intention forcément abstraite de mettre des notes sur l'idée de lumière tombante est cependant parfaitement mise en œuvre par un jeu d'une grande sobriété où les nappes blafardes des synthétiseurs sont colorées par des guitares crépusculaires.
La trentaine de minutes qui nous est proposée ici existe malgré tout en dehors du documentaire, de par la cohérence intrinsèque des titres, même si connaître l'origine de la création lui confère une sensibilité supplémentaire.
La grande estime que portent Jarmusch et Logan à Robby Müller aboutit à prolonger son œuvre et la musique jouée en sa mémoire nous projette dans une contrée où toute frontière artistique est abolie, l'image est musique, la note est pellicule.
