Boucler la boucle est ce que, matériellement, sont en train de faire l’ex-Faith& the Muse Monica Richards et le bassiste Steve Willett. En disant cela et en focalisant sur elle, nous ne sommes évidemment pas dans l’idée que Strange Boutique serait le dernier groupe de Monica, mais de considérer Strange Boutique pour ce qu’il est : le groupe premier, celui par lequel elle a réellement commencé à exister en tant que frontwoman, à son émergence dans le champ de l’afterpunk et du gothique américain 90’s. Nous sommes alors dans les années qui précèdent l’aventure au long court, pour le moins glorieuse, qu’elle mènera par la suite en compagnie de William Faith. Comme pour la plupart des musiciens, la rencontre et une qualité spécifique de la relation à l’autre sont des données déterminantes dans le parcours. Les choses ne naissent pas de rien.
Boucler la boucle correspond à un choix, une nécessité parfois, mais doit surtout faire écho à une conviction. Boucler la boucle, c’est exhumer, rendre honneur à ce qui a été fait. C’est par là que ce Strange Boutique a commencé, en 2019, sur scène. Cela peut aussi vouloir dire, devoir dire se projeter, surtout lorsque quelqu’un manque à l’appel. Le guitariste Fred n’est plus (assassiné en 2017), et Richards et l’ex-membre historique Steve Willett (basse, direction artistique) font appel à Dennis Kane, personne du sérail de Smith, en premier lieu pour un temps d’hommages au disparu et au service de Strange Boutique depuis. Rendre hommage, continuer : une idée est en vie, et le potentiel du nouveau collectif se découvre, il ouvre des perspectives. Les idées ne meurent pas tant qu’elles sont incarnées et le nouvel album, Let The Lonely Heart Sing, voit le trio redessiner le champ des possibles : ciselé, de puissance évocatrice et de délicatesse, le son du Strange Boutique 2025 ouvre un éventail émotionnel à la fois large dans ses perspectives mais typé dans sa formulation. Guitares économes et aériennes, cette voix que nous reconnaîtrez toute votre vie, la romance et cette patte onirique qui affleurent : les cides sont familiers mais il y a une inspiration. Strange Boutique c’est aujourd’hui ce trio, au travail avec l’aide d’intervenants extérieurs sur ses nouvelles révélations.
Plusieurs batteurs (Rand Blackwell, David Christian, Gregg Hudson) ont servi l’ensemble des sessions, et un quatuor a été invité aux cordes. Le groupe adopte une posture assez minimale dans sa forme mais de haute suggestivité ("Calliope"), le boisement des cordes ornemente avec chair ("Radium Kiss", "Whistle, and I will come to you"). Les suites peuvent avoir un côté Curesque ("Twelve Chimes") et Strange Boutique atteint aussi des splendeurs héroïques avec ce que, sans doute, nous attendons le plus de lui : l’organicité d’un rock enténébré, celui qui se trouve au cœur du disque et – ils ne s’y étaient pas trompés – avait servi de teaser ("Jet Stream"). Les basses, bouclées, posent ce paysage immuable qui vous donne l’impression de voler au-dessus, ligne de l’horizon en lente et perpétuelle recomposition ("The Night Birds", l’ouverture : où se glisse, la nuit, une présence fantomatique).
Sur la globalité du disque, le groupe joue la carte de l’apaisement : vous ne faites pas du rock passées quelques décennies comme vous le conceviez à vos vingt ou trente ans. Et cette paix est assurée, elle rassérène, rassure. L’écoute du disque vous laisse alors avec cette impression, agréable, que les choses n’ont pas été faites pour de mauvaises raisons. Intention noble, les chansons vivent. De la famille des cigales, la cicada, qui orne la couverture créée par Richards, est symbole de résurrection. Les fantômes reviennent toujours, ils sont dans le disque. Strange Boutique renaît, vive Strange Boutique !
