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Album
26/05/2025

Swans

Birthing

Label : Young God Records / Mute / Pias
Genre : apocalyptic rock
Date de sortie : 2025/05/30
Note : 90%
Posté par : Mäx Lachaud

Depuis le retour du projet de Michael Gira sur scène il y a une quinzaine d’années, Swans a développé une nouvelle façon de travailler, laissant les morceaux évoluer sur scène, jusqu’à atteindre des formats et des durées épiques. Déjà sur The Seer (2012), To Be Kind (2014) ou The Glowing Man (2016), on pouvait trouver des pièces longues et complexes avoisinant la demie heure. Mais The Beggar (2023) nous avait particulièrement impressionné avec son second CD et le titre "The Beggar Lover (Three)" et ses quarante-cinq minutes. En soi, il s’agissait d’une symphonie avant-gardiste d’une ampleur inédite, sorte de 2001, L’Odyssée De l’Espace en version musicale. 

Quelque part, Birthing commence là où le précédent album s’était arrêté. Les morceaux durent presque tous une vingtaine de minutes et l’introductif "The Healers", incantation mystique et hypnotique, nous confirme que la transe va être intense et que le groupe derrière Children Of God (1987) continue à composer des chansons comme on prie un Dieu. Transcendance, extase, le ton est donné. Chaque détail semble avoir été mûrement réfléchi, les chœurs sont éthérés à souhait, les arrangements riches et raffinés. Plus prêcheur que jamais, Gira démultiplie sa voix ("I am a Tower") alors que les guitares piochent volontiers dans l’héritage psychédélique (relents très Popol Vuh sur "Birthing").

Si le son reste toujours grandiose et puissant, le bruit a laissé place, comme sur son prédécesseur, à des harmonies visionnaires et cosmiques où s’alternent des passages ambient et des explosions percussives. Chaque musicien est au service d’un tout et sait s’effacer tant que son tour n’est pas arrivé. Comme une prière de deux heures, le disque comporte de nombreux moments d’élévation majestueuse d’où peuvent émerger des bruits étranges (un aboiement par ci, un bébé par là) mais toujours fondus dans le trip que le groupe nous propose. Il est toujours étonnant, d’ailleurs, de se dire que la plupart des titres ont existé dans un premier temps comme des compositions acoustiques très épurées. On est subjugué par les changements de rythmes et de climats au sein même d’un morceau (voir l’évolution de "I am a Tower" dont le final n’est pas sans nous rappeler la période tant aimée de The Great Annihilator). 

"Birthing" était clairement un des moments forts des derniers concerts de Swans, et cette version studio ne fait que nous prouver qu’il s’agit là d’un très grand morceau. On comprend mieux ce rond noir au centre de la couverture, car la musique de Swans commence à ressembler à ces peintures phénoménales de Pierre Soulages ou Mark Rothko, où quand on s’approche des tableaux, on se rend compte de la richesse des couches qui, derrière la profondeur du noir, nous mènent vers des domaines purement métaphysiques, tour à tour émouvants ou terrassants, avec un final où le chant de Gira nous fait beaucoup penser à celui de Nico. Ce qui fascine c’est à quel point le groupe arrive à conjuguer toutes les facettes de sa carrière (la folk gothique du projet World Of Skin, les messes soniques apocalyptiques des débuts, la lenteur lancinante de Greed/Holy Money, le rock épique et psychédélique de White Light From The Mouth Of Infinity, les chants possédés et opératiques de The Beggar…) et semble aller au bout de ce que tellement de groupes de kraut, de goth, de psyché ou de post-rock ont essayé d’atteindre.

Mais si la plupart des titres sont nés lors de la tournée 2023-2024, utilisant cet espace rituel qu’est la scène pour muter, les deux morceaux issus des sessions studio sont tout aussi bluffants : "Red Yellow" démarre d’une façon enchanteresse pour évoluer en une transe vaudou absolument obsédante alors que "The Merge" fait appel à des bidouilles électroniques bruitistes bien hallucinées avant de virer vers une sorte de jazz/no-wave angoissant et circulaire puis un requiem apocalyptique à la Penderecki pour finir en une valse étrangement légère. On ne peut que saluer le savoir-faire des musiciens (nombreux) qui ont apporté leur savoir-faire à cet édifice qui se finit de la plus douce des manières (l’exquis "(Rope) Away" et, selon les propos de Michael Gira, ce sera le dernier effort du groupe dans le domaine du "gros son" avant un virage vers une voie plus minimale et intime. 

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À savoir : l’album en concert Live Rope peut être écouté comme un supplément à ce disque disponible à la fois en triple vinyle ou en double CD avec, pour les premiers pressages, un concert filmé par Marco Porsia, Swans Live 2024 (Rope) The Beggar, ainsi qu’un documentaire sur la tournée solo de Gira en 2022, I Wonder If I'm Singing What You're Thinking Me To Sing.

Tracklist
  • 01. The Healers
  • 02. I am a Tower
  • 03. Birthing
  • 04. Red Yellow
  • 05. Guardian Spirit
  • 06. The Merge
  • 07. (Rope) Away