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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Revue
26/07/2021

The Convivial Hermit

"Le cœur dicte mes choix d’interviews" (Yury A.)

Genre : revue musicale indépendante spécialisée en coups de cœur et musiques souterraines
Making of : Yury Arkadin
Images : Arkadin archives + official Hermit FB + Cvlt Never Dies webshop
Posté par : Emmanuël Hennequin

The Convivial Hermit en est déjà à son numéro 9 et le sommaire de ce pavé ne laisse guère place au doute : en mettant en avant, au fil de ce volume dense et bellement imprimé, des artistes ou formations telles que Lisieux, Officium Triste, Dehn Sora, La Breiche ou encore Sainte Marie Des Loups (pour ne citer qu’eux), la revue basée à Philadelphie affiche un certain état d’esprit : son responsable principal, Yury Arkadin, se plaît à défricher, autant pour lui-même que pour les autres, et délivre un nouveau pavé anglophone riche en entretiens et dossiers. L’occasion de s’entretenir avec un praticien du do it yourself et authentique défenseur du format papier.

Obsküre : Déjà le #9 pour The Convivial Hermit... Comment est né ce projet de revue (luxe) anglophone ?
Yury Arkadin : The Convivial Hermit a vu le jour au début du nouveau millénaire, suite à la disparition du webzine Erebus, dans lequel j’écrivais entre 1999 et 2001 aux côtés d’Umesh Amtey, guitariste de Brown Jenkins, The Ash Eaters et d’autres groupes. Ces années ont été pour moi très étranges et excitantes à la fois. La scène metal connaissait d’importantes transformations partout dans le monde, de nombreux groupes tâtonnaient à la recherche de nouvelles directions et Internet n’était pas encore le grand bordel commercial que nous connaissons aujourd’hui. Après plusieurs années d’écriture et d’implication croissante dans la musique underground (à partir de 1994 environ), j’ai fini par amasser un très grand nombre de chroniques et d’interviews parues (ou non) dans des zines tels que Brutallica, Metal Curse, Qvadrivivm, Unrestrained!, Oskorei, Zodiac Chronicle (projet de Karsten Hamre de Penitent), et il m’est apparu nécessaire de trouver un moyen de publier tout cela. Après avoir galéré à trouver un titre, je me suis finalement rabattu sur l’une des associations de mots les plus bizarres et les moins accrocheuses qui me soient venues spontanément à l’esprit. The Convivial Hermit était aussi le nom d’une de mes adresses e-mail à l’époque... Je n’ai jamais été totalement à l’aise avec ce nom, mais peut-être cet inconfort m’a-t-il, paradoxalement, motivé à garder le projet sur les rails. J’ai réalisé les quatre premiers numéros seul. À compter du #5, mon vieux complice Bertrand Garnier (NDLA : collaborateur régulier et historique d'Obsküre) a rejoint les festivités. Quelques invités se sont aussi greffés ici et là.

De l'anglais, du format papier, un sommaire tirant fortement vers l'underground ou l'artiste indé... Quel est ton lectorat ? Où est-il ? Comment le perçois-tu ?
Le format restera toujours papier, dussé-je abattre moi-même le dernier arbre sur Terre ! Je m’y enchaînerai comme un militant de Greenpeace, après quoi je le débiterai en morceaux et je le pulvériserai en papier. OK, je n’irai peut-être pas jusque là, mais tu vois l’idée. Je n’ai toujours pas une idée très précise de mon lectorat. Je vends à peu près autant d’exemplaires aux Etats-Unis qu’en Europe de l’Ouest, mes principaux marchés, si j’ose employer ce terme. Mais cet état de fait est sans doute de ma responsabilité car c’est aussi là que se trouvent la plupart de mes interlocuteurs. J’ai un intérêt très limité pour les relations publiques et ma principale préoccupation est de publier du contenu qui m’intéresse au premier chef, de construire un magazine que j’aimerais lire moi-même. La situation du lectorat va peut-être évoluer à présent que Cult Never Dies va prendre partiellement en charge la distribution du magazine !

The Convivial Hermit n'existera-t-il jamais en accès digital ? Le papier, est-ce un principe à la fois d'émergence et de développement intangible pour ce média ?
Oui, comme je l’ai déjà dit, et sans aversion aucune envers Obsküre et d’autres webzines, je n’ai aucune intention d’investir le domaine digital avec le magazine. J’ai commencé avec le papier et je mourrai avec le papier. L’an dernier, j’ai mis en ligne un site, ainsi que la page Facebook, mais ces plateformes n’ont d’autre but que de rester des satellites du magazine lui-même, visant à diffuser quelques informations auxiliaires. Peut-être y aura-t-il, à l’avenir, un projet ou des contributions réservées à la consultation en ligne, mais certainement pas sous le nom The Convivial Hermit. J’ai écrit par le passé pour de nombreux sites Internet, dont la plupart sont aujourd’hui morts et enterrés, donc il faudrait que ce soit un projet vraiment pérenne, intéressant et en phase culturellement avec mes intérêts.

Quels sont tes critères de sélection pour les entrevues ? N'est-ce que la voie du cœur ou y'a-t-il... autre chose ?
Pour ne parler que de moi-même, c’est bien le cœur, en conjonction avec d’autres organes vitaux, qui dicte mes choix d’interviews. Tout groupe qui me plait est susceptible de figurer au sommaire. Je ne pense pas une seconde à inclure tel ou tel groupe en fonction de ce qu’il pourrait m’apporter de lecteurs et donc de ventes supplémentaires. Certains groupes atteignent un degré de popularité supérieur à d’autres et c’est très bien pour eux. Je suis fan de nombreux groupes à succès, comme tout un chacun, mais je considère qu’ils reçoivent suffisamment d’attention de la part d’autres sources. Je préfère de loin interviewer des groupes et des personnalités qui ont des choses intéressantes et "fraîches" à raconter et qui n’ont pas, ou peu, l’occasion de le faire ailleurs. C’est pour moi bien plus passionnant que de me frapper une énième interview barbante de Behemoth, Cradle of Filth, Darkthrone, Carcass, Cannibal Corpse ou autre. Si je devais interviewer de tels groupes, je ferais de gros efforts pour trouver des angles d’attaque originaux et essayer de les surprendre. Je n’y suis pas fermé mais, honnêtement, ça ne me tente pas plus que ça. Pas mal de groupes que j’ai interviewés par le passé sont devenus assez énormes par la suite, du moins autant qu’on puisse être "énorme" dans ce style de musique. Souvent leur popularité coïncide avec une perte d’intérêt de ma part, que cela soit lié ou pas. J’aimerais en revanche développer des interviews de personnes hors ou en périphérie de la musique. Parfois cela s’avère particulièrement intéressant, comme Bertrand l’a prouvé avec son propre zine.

Les formats des entretiens sont parfois assez... extensifs ! Eprouves-tu toi-même frustration quant aux formats d'article de la presse papier "kiosque" et y a-t-il à travers ce projet papier la volonté de réinstaller des temps prolongés de lecture ?
En général, je n’apprécie pas trop les formats d’interview qui essaient, souvent maladroitement, d’imposer une dynamique narrative, si c’est le sens de la question. Certains magazines le font mieux que d’autres. Sans vouloir lui jeter des fleurs, La Delaïssádo est un bon exemple de zine dans lequel le format "interview-article" fonctionne de façon propre, non-intrusive et agréable à lire. Pour ma part, je m’en tiens depuis toujours au bon vieux format questions-réponses, qui permet une forme de communication ouverte et directe. Les interviews par téléphone marchent parfois très bien également, donnant généralement des conversations plus superficielles, mais aussi plus vivantes. L’essentiel est qu’il existe un désir réciproque des deux interlocuteurs de se passer la balle. Si l’effort ne va que dans un sens, le résultat sera le plus souvent sans valeur. J’en ai fait l’amère expérience un certain nombre de fois, étrangement parfois alors même que les personnes contactées s’étaient montrées particulièrement enthousiastes à l’idée d’être interviewées. C’est là un désagrément inséparable de cette activité.

Quel lecteur es-tu toi-même ?
Je lis des choses assez différentes... Des classiques de fiction, de la philosophie, de la littérature scientifique. Actuellement, je lis Not So Different de Nathan lent, un ouvrage sur les comportements animaux et la biologie, et simultanément un recueil de nouvelles d’Ambrose Bierce. J’ai aussi tout un monticule de fanzines devant moi. Je viens de terminer The Dead Sea Anthology et j’ai hâte de me lancer dans le livre History of Finnish Death Metal. J’adore également les bandes dessinées. J’ai un exemplaire de Factory Summers de Guy Delisle qui m’attend sur mon bureau dès que j’aurai fini cette interview. J’adore les BD underground d’Harvey Pekar, Gilbert Shelton, Derf Backderf, Kaz, Robert Crumb, Chris Ware, Joe Sacco, Jim Woodring, etc.  Tellement de choses à lire, si peu de temps...

La confection du #10 de The Convivial Hermit a-t-elle commencé ?
Absolument. Je suis en train de réunir du contenu pour le prochain numéro. Ca arrive un peu au compte-gouttes, par petites poussées d’inspiration. N’ayant pas de calendrier de publication, j’ai tendance à étaler le processus sur des plages de temps très longues. Aucun numéro n’est planifié à l’avance en termes de design, mais j’ai déjà fait une liste de groupes et individus à interviewer. Comme ce sera le dixième numéro, j’entends bien faire un petit truc inédit au niveau de l’impression. On verra. Merci pour l’intérêt et un coucou de Philadelphie à nos lecteurs français !