Le ciblage et la puissance de la campagne multimédia de lancement de Songs Of The Lost World sont à l’inverse proportion du silence, ces derniers mois, pour ne pas dire ces deux dernières années, sur la parution du nouvel album de The Cure. Depuis 2022, les allusions de Robert Smith à l’aboutissement de ce projet sont restées pour le moins rares et elliptiques. Engendrant sur le web l’habituelle cohorte de commentaires anxieux, désillusionnés voire moqueurs (en substance et synthèse : "vous croyez encore à un nouvel album de Cure ?"), le silence accompagné d’un report sine die de la publication trouve son épilogue : Songs Of A Lost World arrive le 1er novembre 2024, mettant fin à une attente démarrée au sortir de la tournée donnée pour ce qui reste un assez médiocre 4:13 Dream. Au terme du récent cycle live, remarquable, la suite se profile et, du peu que nous en percevons, pourrait prendre une tout autre tournure.
Depuis une annonce faite à Rolling Stone fin mars 2019, nous savions The Cure de retour en studio. Robert Smith annonce depuis lors des morceaux longs (dix, douze minutes, formats évoqués) et un disque aux reflets ténébreux ("doom & gloom", élément de langage récurrent). Les sessions auraient accouché d’une vingtaine de titres, ce qui ne veut pas dire – ne rêvez pas – que Songs Of A Lost World en inclura la totale.
De ce que nous avons pu voir de la pochette du prochain opus, l’extériorité de l’objet s’inscrit en droite lignée de cette annonce : un gris foncé uni, légèrement anthracite et granuleux, qui vous renvoie à une abstraction et une atmosphère de déprime, cousine de Faith (1981). Cette forme donne grandeur nature à la première transmission physique : ces petites cartes reçues par les adeptes par voie postale et sur lesquelles est gravée la mention I.XI.MMXXIV. Le 1er novembre, la célébration des disparus : une date tout sauf choisie au hasard.
Les premiers titres égrenés sur scène ces dernières années suivent cette tangente déprimée : part belle faite au spleen, toile de fond autobiographique. Certains textes prendraient racine dans le vécu familial et récent de Robert Smith, dont la famille proche a ces dernières années essuyé plusieurs deuils sur une échelle temps ramassée. Certains ont vu depuis 2022 Robert en larmes, sur scène, à l’heure de jouer certaines chansons de Songs Of A Lost World ("I can naver say Goodbye") ; et si les annonces faites par le chanteur et compositeur sont suivies d’effet, si les sons du nouvel album s’inscrivent dans la lignée des quelques titres déjà joués en concert, nous pourrions ranger le disque à venir aux côtés de Faith ou Disintegration. Il est pour l’heure trop tôt pour le dire.
Affichages positionnés dans des lieux clefs, lancement d’une plateforme web dédiée à partir de laquelle vous pouvez vous inscrire à un canal WhatsApp dédié à la sortie de l’album : The Cure met les moyens en place qui lui permettront de toucher toutes âmes fidèles et jauger d’une attente qui, à vrai dire, ne fait guère de doute. Les tournées se sont succédées depuis 4:13 Dream, remplissant les jauges de grands espaces. Or le groupe – hors les quelques nouveaux titres égrenés depuis 2022 (parmi lesquels le marquant "Endsong") continuait simplement d’offrir – ce qui est déjà énorme – des setlists conséquentes et équilibrées dans leurs choix, continuant d’avoisiner les deux heures trente de concert (lorsqu’elles ne se dirigent pas vers les trois heures, ce qui a été régulièrement le cas jusque dans les années 2000, 2010). Sur scène, la voix de Robert Smith tient, Simon Gallup reste physique et l’implication de Reeves Gabrels (ancien guitariste de Bowie) compte. Le retour en 2022 de ce cher Perry Bamonte (au rôle restant assez mineur sur scène) a mis un petit piment de plus.
Un retard s’explique, à défaut d’être toujours compris. Plusieurs textes du cru 2024 (quatre) se sont avérés problématiques pour Smith, et le mixage de l’album a démarré, au final, en avril 2022. La sortie était initialement espérée pour le mois de septembre de cette même année. Si la temporalité des annonces de Robert Smith apparaît parfois singulière (les premières concernant Songs Of A Lost World remontent à 2019), les récents événements de vie subis par le claviériste Roger O’Donnell (un traitement pour un cancer duquel le musicien vient de réchapper, Roger venant aujourd’hui au soutien de campagnes de sensibilisation et de prévention) peuvent partiellement expliquer, au moins sur les deux dernières années, le retard pris par la sortie du disque.
Lequel n’aurait pas été le seul à mitonner en studio depuis cinq ans, puisque Robert a depuis 2019 annoncé un travail en simultané sur un autre album de Cure (les dix-neuf prises réalisées comprennent sans doute une partie du second opus attendu, lequel s’inscrirait dans des tonalités beaucoup plus pop et aérées que Songs Of A Lost World)…. ainsi qu’un album envisagé comme solo. Une annonce qui n’est pas la première du genre depuis le mitan des années 1980 pour le fondateur du groupe de Crawley.
Songs Of A Lost World, qui suivra la récente parution de l’EP live Novembre (de nouveaux titres enregistrés en concert en France en 2022 : "And nothing is forever" et "I can never say Goodbye") permettra de jauger de la force de style du line-up incluant Gabrels, le guitariste du Thin White Duke ayant effectivement enregistré des parties pour le cru 2024 : un évènement suffisamment attendu pour – bien sûr – relancer un cycle de tournées. Les entrailles des foules depuis la fin des années 1970 qui vibrent au rythme des annonces et d’un son nébuleux, n’ont pas fini de remuer... Dans l’expérience du concert, elles retrouvent la singularité d’un son, jamais démentie depuis des décennies : une résonance authentique, immuable et en laquelle certains s’illusionnent de voir l’éternel.