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Interview
02/03/2020

The Mission (Pt. II)

"Je ne suis pas quelqu’un de nostalgique" (Wayne Hussey)

Genre : gothic rock / rock / pop
Contexte : post-Brexit - début du cycle live 2020 United European Party Tour (février > mai)
Posté par : Emmanuël Hennequin

Deuxième partie de notre entretien avec Wayne Hussey à l’aube de la nouvelle tournée européenne de The Mission, qui passe par Paris (au Petit Bain) les 3 et 4 mars 2020. Où il est question, après une fin de première partie consacrée à l’orientation artistique et le renouvellement de The Mission, de la présence de Hussey dans la musique des autres, mais aussi... de Sisters Of Mercy (inévitable), des remixes de "Tyranny of Secrets", des chances de nouvel album live en 2020, de Bending The Arc (la sortie live atypique de 2017), d'une proposition de changement de sexe, d'un certain John Paul Jones (bassiste et organiste de Led Zeppelin, producteur par ailleurs de l’album culte Children) - et, enfin, de la persistante nostalgie autour de The Mission.

Obsküre : Ton activité récente hors Mission est dynamique. Récemment, tu as par exemple assuré des performances spéciales chant et cordes avec The Divine…
Wayne Hussey : Un album live en a été tiré, enregistré en studio à l’occasion de répétitions à Sheffield. Ce ne sera peut-être pas du goût de tout le monde mais il y a de beaux moments sur ce disque. Je trouve leur musique très belle, vraiment.

Quant au projet The Beauty In Chaos, leur dernier single en ta compagnie s’intitule "The Delicate Balance of all Things". Une nouvelle collaboration entre toi et le projet de Michael Ciravolo – comme si quelque chose s’était installé entre vous… est-ce le cas ?
Oh, simplement, Mike et moi sommes très amis. C’est quelqu’un que j’aime beaucoup et à chaque fois que je pourrai l’aider, si je le peux, je le ferai. The Beauty In Chaos doit bel et bien être considéré comme son projet à lui, je ne suis qu’un invité dans cette histoire – mais c’est un fait : j’aime sincèrement les choses qu’il fait. Après c’est sûr : il est compliqué, je crois, de donner le sentiment d’une œuvre globale à travers une collection de morceaux qui implique un nombre aussi important d’invités et de chanteurs différents. Ce genre de disque représente davantage, pour moi, une collection de choses. Et c’est le cas pour ce que fait Michael comme pour ce qu’a entrepris Mark Gemini Thwaite sur ses récents travaux solo (NDLA : Wayne fait référence au tout premier album de MGT, actuel musicien de Peter Murphy et guitariste récurrent de Mission sur diverses périodes de 1993 à 2008).

Musicalement, tu restes en tout cas prolixe via les services rendus personnellement à des causes diverses et extérieures à Mission. Mais à quand une voix de Wayne Hussey dans le groupe à voix féminines The Eden House ? Pense au changement de sexe, et fonce !
(Rire) Tu sais, ils m’ont déjà demandé il y a quelques années (NDLA : Simon Hinkler lui-même a donné des parties à The Eden House sur, notamment, Half Life [2013])… Mais je n’ai pas su trouver de parties assez pertinentes pour les trames musicales qu’ils m’avaient envoyées. Pourtant, elles étaient très bonnes.

Au prochain M’era Luna 2020, joueront The Mission… et The Sisters Of Mercy.
Oui, mais je crois que ce n’est pas le même jour. Sisters jouent le vendredi, Mission le samedi. La dernière fois que nous l’avons fait, c’était le même jour qu’eux mais c’était il y a plus de… quinze ans.

Le temps passe, et je préfère ne pas te dire ce que j’ai pensé du show des Sisters au Hellfest 2019 – je pourrais mal trouver les mots (NDLA : petit rire de Wayne). Par contre et ce qui est sûr, c’est que des référents du passé resurgissent à l’occasion de la tournée 2020 de Mission - des référents qui t’unissent aux Sisters : le fait, au principal, que Salvation joue sur certaines de vos premières parties en Europe. Andrew Eldritch avait produit Salvation… et toi aussi, à des périodes différentes.
Oui, en effet. J’aime beaucoup leur chanteur, Danny. La première fois que je l’ai rencontré, il était roadie pour The Sisters Of Mercy. Il avait formé son propre groupe et j’avais produit un de leurs singles en 1984, 1985. Ils ont tourné avec nous plusieurs fois dans les années 1980 et il fait partie de ces gens avec lesquels le contact s’est maintenu… Je l’ai vu deux fois l’année dernière. C’est à ce moment-là qu’il m’a fait part de la reformation du groupe et de son retour sur scène. Il avait été direct : si jamais j’avais besoin d’un groupe de première partie... alors je lui ai dit que j’y réfléchirais ; et le résultat, c’est qu’ils nous accompagnent en  2020 en France et en Belgique. Nous y voilà !

Que retires-tu du récent concours de remixes lancé à l’adresse des fans pour "Tyranny of Secrets" ?
Les choses ont très bien fonctionné, vraiment ! Nous avons reçu des versions très intéressantes et celles que j’ai préférées sont les plus imaginatives : les remixes qui proposent une évolution forte du morceau et quelque chose d’assez différent de l’original au final (NDLA : quelques jours après notre entretien, The Mission annonçait le nom du vainqueur du concours, Harmath Szabolcs, et la date de parution digitale de son remix chez SPV. The Mission diffusera le remix en amont de chaque concert sur toute la tournée européenne. Il a été choisi parmi une quarantaine de versions différentes envoyées au groupe et fournies dans des délais assez brefs après le lancement du concours.)

Pourquoi avoir choisi ce morceau pour le concours ?
"Met-Amor-Phosis" était l’autre choix possible, mais des remixes existaient déjà et ont été publiés sur des formats standard – alors en raison notamment de l’up-tempo et de la force des guitares que ces deux titres ont en commun, nous avons retenu "Tyranny of Secrets".

Une question que je n’ai pas osé de poser frontalement à l’époque d’Another Fall From Grace à propos du premier single "Met-Amor-Phosis" : y a-t-il un clin d’œil conscient voire volontaire à travers la ligne de basse fondamentale du titre au "Dominion / Mother Russia" d’Andrew, datant pour sa part du Floodland des Sisters - soit après ton départ du groupe ?
Ça aurait pu faire office de plaisanterie, en effet, mais c’était tout sauf intentionnel… Nous ne l’avons vraiment ressenti que sur le tard, après l’enregistrement. Après, je crois que les gens prêteront toujours plus attention à ce genre de choses nous concernant dès que le sujet Sisters Of Mercy surgit au débat. Certains pourront même y trouver un problème. Moi, je pioche de partout, et pas seulement chez Sisters. Mais tout cela relève du subconscient, il n’y a pas de processus intentionnel. C’est une histoire de mémoire mais aussi de réflexes dans la manière dont je joue. Et même si l’on peut me soulever des références par rapport à telle ou telle partie de Mission ou de moi-même en solo, je me dis… peu importe, en réalité ! Quelqu’un a dit un jour, je ne sais plus qui : "good musicians borrow, great musicians steal" (NDLA : "les bons musiciens empruntent, les grands volent").

The Mission prévoit-il d’enregistrer certains des soixante shows de la tournée européenne ?
Oui, nous planifions d’enregistrer les deux concerts londoniens (NDLA : début mai 2020).

Mais… y aura-t-il ou pas une sortie derrière ?
Peut-être (NDLA : mots très découpés, suivis d’un petit rire). C’est bien sûr l’intention mais la décision de sortir quelque chose dépendra de la qualité des performances (NDLA : seuls un incident technique ou la fatigue du groupe pourraient expliquer, à terme, l'absence de sortie. Tout le monde, et c'est la loi, trouve The Mission bons en concert - même Alice Cooper, c'est dire, qui les a embarqués en 2017 pour plusieurs dates communes). Je sais que j’ai déjà dit ça, mais je ne suis pas grand adepte des publications live. Je comprends néanmoins que certaines personnes apprécient de conserver ce genre de traces. Cela dit, il y a danger de saturation avec ce genre de parutions. Bon, j’exclus du propos mon expérience avec The Divine car il s’agissait là de conserver trace d’un évènement one-off. The Mission a sorti plusieurs enregistrements de type live ainsi que des films... mais concernant ce genre de publications-là, je ne suis que le chanteur – et je ne contrôle pas tout sur le sujet.

Certes… et tu peux sans problème exprimer ta distance vis-à-vis de l’intérêt des albums live face à moi. Par contre, comment dire... évite de parler de la sorte à un quelqu'un comme Robert Fripp !
(Rire) Tu te rappelles de Bending The Arc ? (NDLA : compilation de répétitions en conditions live face  à un public recruté spécialement, double album sorti par le biais du crowdfunding fin 2017). Là, je n’étais pas contre mais uniquement parce que les conditions d’enregistrement étaient particulières. Ça avait quelque chose d’inédit pour nous. Qui plus est, nous avions évité de répéter la sempiternelle série de classiques du groupe. Les autres musiciens m’interpelaient bien sur la validité du choix de cette setlist mais je leur disais être sûr : certaines de ces chansons n’avaient pas atterri sur des albums live précédents et cela ne leur arriverait probablement jamais – donc oui, ça valait le coup.

Complètement d’accord. Pourtant, les gens n’appréhendent pas toujours de la sorte et un nombre non négligeable de fans préféreront, en général, retrouver sur les traces live les vieux classiques servis par le son actuel du groupe.
Oui, et tous les groupes en souffrent. Prends Massive Attack : lorsque les gens veulent les voir, c’est simple, ils veulent réentendre Mezzanine. C’est un fait. Les classiques concentrent sur eux plus d’attente que le reste. Personnellement, je ne suis pas quelqu’un de nostalgique. Je serais capable d’exécuter une setlist dont le principal menu se concentrerait sur des titres récents – mais je sais aussi et pertinemment que cela serait mal vécu par l’auditoire. Et je le comprends – donc, j’essaie de trouver un équilibre entre les choses. D’où la proposition pour la tournée européenne 2020 de mixer les setlists entre les deux soirs, entre les disques de numéro pair et ceux de numéro impair.

Si tu n’es pas quelqu’un de nostalgique, n’est-il pas au fond déstabilisant, pour toi  en tant que musicien, de faire face à un public qui porte en lui cette nostalgie, et l'exprime peut-être toujours plus ?
Si, c’est déstabilisant, mais ce n’est que la nature des choses. Parfois, je le concède, c’en est presque désarmant… surtout lorsque tu es dans une phase de présentation de choses nouvelles, que tu viens d’écrire. Tu es sur scène, tu apostrophes le public sur le fait que tu vas défendre ces choses et du fond de la salle, quelqu’un lance : "Tower of Strength ! Wasteland !" – donc oui, c’est un peu désarmant, je le reconnais mais nous ne sommes pas  le seul groupe dans ce cas. Je ne sais pas, prends Depeche Mode... tu imagines ? Alors là, tout le monde veut les vieux titres ! Le secret, à mon avis, c’est de mélanger les choses, les époques. Un jour, John Paul Jones m’a dit : "Choisis bien les trois premiers titres du concert. Assure-toi qu’ils soient aimés de l’auditoire, qu’ils le fédèrent. Si tu procèdes ainsi, tu seras libre pour le reste du concert." Conclusion : il est toujours plus facile pour un auditoire d’accepter des choses nouvelles ou inédites une fois que tu as joué "Wasteland" ou "Beyond the Pale".

As-tu conservé le contact avec John Paul ?
Non, je ne lui ai pas parlé depuis longtemps. C’est la vie. Les cercles se font et se défont au fur et à mesure que tu avances.

J’éprouve un respect immense pour cet homme.
Moi aussi, ça a été vraiment incroyable de travailler avec lui. C’est quelqu’un de très humble et pointu, un grand musicien. La vie est un voyage, nous croisons les gens puis chacun repart vers son horizon.

Oui. Et chacun construit sa vie sur ses souvenirs… c’est pour cette raison que les fans  réclament "Wasteland" en concert !
Oui, et je comprends ce que ces chansons représentent pour l’auditoire, je l’ai intégré. Et je sais aussi qu’il existe parmi nos fans une faction qui défend de la même manière les sorties les plus récentes, qui s’y retrouve. Dans les années 1980 et le début 1990, nous étions fashionable. Le terme goth, si tu veux le nommer ainsi, correspondait à un mouvement de mode. Mais une fois qu’un mouvement ne l’est plus, ses acteurs retournent dans des cercles plus underground. C’est tout sauf grave. Nous gardons une place je crois, et nous sommes heureux de la conserver.

 

> THE MISSION UK
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