Tout vole en éclats le 22 avril 1996 : les cristaux cosmiques des guitares de l’ancien groupe, l’éclat des tenues victoriennes. Zoon – terme grec pour situer l’animalité - sort ce 22 avril et fait jaillir au monde ce qui a travaillé au ventre Carl McCoy depuis sa sortie de Fields Of The Nephilim. La cuirasse des guitares : vengeresses, métalliques. Une épaisseur, une dureté, une radicalité. La voix explose dans le mix, dans toute sa profondeur, sa gutturale présence. Elle est ce qui nous raccroche au passé, au souvenir. Et puis il y a ce nom : Nefilim, affublé d’un F. Respecter l’accord passé avec les musiciens de l’ancien groupe, partis fonder Rubicon : le nom Fields of The Nephilim ne peut être utilisé par l’un des anciens membres hors la présence du noyau dur originel.
Tout vole en éclats, pour de nouvelles splendeurs. Mais des splendeurs qui doivent être conquises. La récompense ira à celles qui resteront volontaires parmi les oreilles attachées aux écrins romantiques et poussiéreux, au psychédélisme noir d’Elizium : un disque paru en 1990 et qui, à divers degré degrés, a occasionné un rapprochement de Fields Of The Nephilim avec Pink Floyd. Rapprochement dans les guitares aériennes de Peter Yates, mais par les présences humaines, aussi. Les claviers peaufinés par Jon Carin (spatialité, grain cosmique) et la production d’Andy Jackson, tous deux coopérateurs directs de Gilmour & co., favorisent cette association. De vapeurs et d’atmosphère, la poussière mystique du cru 1990 a formé cocon. Toutes celles et ceux qui sont entrés à l’intérieur savent. Elizium, leur bijou.
1996, disruption. Zoon : déferlement, arrachement aux terres familières, paysages aimés. Noire bestialité que celle qui émerge de ces saturations en bouillon et de ces rythmiques mécaniques concoctées par Carl McCoy avec les musiciens recrutés pour la finition des travaux : Paul Miles (guitares, futur membre de Sensorium), Cian Houchin (basse, Saints Of Eden), Simon Rippin (futur Sensorium / Eden House / Fields Of The Nephilim AD) forment équipe studio après que le multi-instrumentiste John Carter (futur "ghost musician" pour le cru 2005 de FOTN, Mourning Sun) a aidé sur les débuts. Andy Jackson et Paul Kendall ont accompagné techniquement mais c’est Carl McCoy qui seul finira le son de Zoon… et il lui faudra du temps.
Un premier single est dévoilé, plusieurs années avant que sorte le seul album de The Nefilim : "Chaocracy", paru sous forme de démo - détaillée - sur la compilation Deafening Divinities With Aural Affinities (Beggars Banquet, octobre 1993). La noire rutilance des saturations tirent vers un thrash metal traditionnel (McCoy a pu dire son amour pour certains travaux signés Slayer) et qui transit les anciens fans. "Chaocracy" préfigure, certes (tout comme la démo "Red 777", à connaître), mais ne sera pas inclus à Zoon. Les reliefs du format long, au moins aussi saturés que ceux du premier titre officiel, figent une forme plus froide, industrielle. Ils sont esquissés par le blast beat de l’inaugural "Still Life", tandis que "Xodus" (la symbolique du titre est évocatrice) matérialise frontalement la menace. La froideur des guitares, leur métronomie ministryenne.
Carl McCoy, qui ne se charge d’aucune instrumentation traditionnelle – une constante dans le parcours – s’affirme directeur d’orchestre et reste l’homme des programmations et atmosphères. Or elles infusent tout Zoon, travail qui ne saurait se réduire à une place maîtresse prise par l’overdrive. Un travail d’ambiance baigne moult sculptures sonores (le fameux "Shine", "Coma", les différentes parties du morceau éponyme) – et ce travail d’ambiance lie l’ensemble sans rien diluer de sa radicalité. Au contraire. Il lui donne un supplément de profondeur, d’intention. L’instrumental et bonustrack "24th Moment", ancienne création de McCoy, témoigne lui aussi d’un maintien de l’intention filmique à l’époque du travail sur The Nefilim. Un feeling et des mythes originels demeurent aussi dans les écritures (Mésopotamie : le roi des démons du vent et protecteur de celles qui enfantent surgit le temps de "Pazuzu").
Zoon forme aussi témoignage de l’exigence de McCoy quant aux rendus. Le caractère imposant des reliefs sonores, quand bien même des problèmes techniques aient grevé la réalisation, est la marque de Zoon, autant qu’ils témoignent du savoir s’entourer de Carl, soutenu à l’époque par le manager Rob Ferguson. Si les producteurs impliqués semblent voir éprouvé difficulté à toucher les formes désirées, les musiciens dont il s’est entouré à l’époque ont su insuffler au son cette puissance intrinsèque singulière, chimie de groupe qui le fait s’extirper naturellement des manières du groupe culte 1984-1991 tout en maintenant quelques colorations et détails caractéristiques du feeling mystique, ainsi qu’une noirceur hypnotique. The Nefilim, autant que Fields Of The Nephilim, développent une puissance incantatoire et par le choix de reprendre le nom originel et d’y associer à partir de 2000, pour le live et pour le studio, plusieurs membres de The Nefilim (temporaires ou permanents), McCoy fusionnera deux espaces de travail.
Vivre ou revivre aujourd’hui l’expérience Zoon procure le frisson. La nouvelle édition comprend des titres bonus déjà connu des adeptes, un supplément d'atmosphère (anecdotique) au sortir du single "Penetration". Le format CD sort en ecopack, les couleurs de la pochette 2024 ont un reflet atténué, plus pastel que l’original et le master de l’édition double-vinyle (rouge) a été refait aux studios Abbey Road. Mais c’est pour son menu principal qu’avant tout il faut garder Zoon : pour sa force d’intention, celle qui a irrépressiblement conduit le frontman d’un groupe parvenu à son apogée à rompre avec une spirale de succès, pour affirmer une vision à lui toute personnelle et renouveler magnificence. Rien ne meurt jamais vraiment, mais un art ne rencontre pas toujours son public et de leur côté, les musiciens de Rubicon, ex-comparses de McCoy, en savent quelque chose. Zoon : un disque mésestimé, un disque culte.