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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
17/10/2022

The Soft Moon

"La tension a toujours été là dès les débuts de Soft Moon"

Photographies : The Soft Moon LIVE @ Connexion café (Toulouse) 10/10/2022 | Jesse Overman
Posté par : Mäx Lachaud

Ce 23 septembre est paru le cinquième album du projet de Luis Vasquez, The Soft Moon. Couvrant un peu toutes les facettes sonores que l’artiste a explorées depuis ses débuts, ce disque témoigne aussi de sa volonté de chercher toujours un son plus moderne qui l’écarte des autres formations darkwave actuelles. Parfois planant, parfois furieux, Exister joue des contrastes et nous étions impatients de pouvoir découvrir ces morceaux sur scène. Si l’album va de la techno industrielle au post-punk en passant par l’ambient, les interprétations en live sont du Soft Moon pur jus, avec basse puissante, guitares tournoyantes et percussions martiales. Le rendez-vous était fixé au Connexion Café de Toulouse ce 10 octobre pour un entretien backstage accompagné de vin blanc, où Luis Vasquez s’est livré sans langue de bois. La tournée européenne continue jusqu’à la fin du mois d’octobre (la dernière date sera au Trabendo de Paris) avant que le groupe ne reparte aux États-Unis.

Obsküre : Bonjour Luis, tu étais encore sur scène il y a quelques minutes. Tu étais accompagné de deux musiciens qui tournent avec toi depuis pas mal d'années. Est-ce que tu peux juste les présenter et parler de cette collaboration avec eux ?
Luis Vasquez : Le batteur est avec moi depuis huit ans à présent. Il vient de Bologne en Italie. Le bassiste est italien aussi et cela fait six ans qu'il joue avec moi sur scène. Je vivais aux États-Unis avec des musiciens américains et j'ai décidé de venir en Europe pour écrire un album. C'était Deeper, paru en 2015. Quand je suis parti en Italie, je ne m'attendais pas à ce que mes amis me suivent. Mon manager vient de la même région que le batteur et le bassiste. Il me les a présentés, d'abord Matteo Vallicelli qui est à la batterie et Luigi Pianezzola le bassiste. On a commencé à répéter et à préparer une tournée quand j'ai terminé Deeper. Mais alors que j'enregistrais l’album, Depeche Mode a appelé et ils m'ont proposé de faire une tournée européenne avec eux. Cela a précipité les choses pour tourner avec ces musiciens.

Vous avez joué pas mal de chansons d'Exister, le nouvel album. Elles sonnent différemment et tant mieux, on les redécouvre déjà. Avec chaque album, le son devient de plus en plus moderne et complexe. Comment parviens-tu à transformer ces morceaux en une expérience de concert, avec son intensité spécifique ?
D'abord pour transformer une chanson de l'album en version concert, cela passe par les répétitions. On va en studio, on répète et on se pose la question de qui va jouer quoi, qu'est-ce qui aurait le plus d'impact sur scène. C'est technique. Ensuite, quand on est sur scène, il y a la performance, et c'est 90% de la chanson. Le morceau c'est 10%. Il existe déjà, il est sur l'album, les gens le connaissent. C'est la manière de le rendre sur scène qui change tout. Quand on répète, parfois c'est un peu faible ou pas très juste mais je sais que du moment que j'y mets de la passion, cela va marcher. La musique c'est aussi très visuel. Et cela joue énormément dans la performance.

Il y a aussi des morceaux sur le disque comme "Unforgiven" avec beaucoup de cris et une ambiance apocalyptique. Vous avez joué aussi "The Pit", qui est très percussif. Il y a une agressivité sur certains morceaux qui me semble encore plus développée qu'avant. J'ai retrouvé cette tension et cette agressivité ce soir sur scène. Il y a aussi le morceau "Stupid Child" qui commence par le son d'une ambulance qui devient celui de la guitare. Cela crée une urgence...
La tension a toujours été là dès les débuts de Soft Moon. Il y a aussi un spectre d'émotions qui est couvert. Il y a les chansons plus lentes et tristes, et les chansons plus énervées. Chaque jour est différent, nous sommes des êtres humains, et nous traversons des émotions complexes en permanence. Parfois je suis très en colère et je l'exprime dans ma musique. À d'autres moments, je suis plus déprimé et je l'exprime aussi. Parfois je suis amoureux et j'ai envie d'écrire une histoire d'amour. Personne ne veut être cantonné à une étiquette et plus le temps passe, plus j'ai l'impression que les genres meurent. Tout le monde écoute de tout. J'exprime juste la diversité de mes sentiments. Pour moi, la musique n'a pas à se limiter au punk, au rap... Si on veut s'exprimer avec authenticité, il faut couvrir toutes ces émotions qui nous traversent sans se limiter.

Oui l'album est très varié et il commence par une ballade triste. D'où est venu ce choix de débuter avec une chanson si mélancolique ? 
Je voulais d’emblée que la personne qui écoute sache que je suis honnête, vulnérable, transparent. C’était une manière de dire qu’on va faire un vrai voyage ensemble. C’est un album avec de vraies émotions. C’est pour ça que j’ai mis la chanson la plus triste au début.

Cela me renvoie à l’album solo A Body Of Errors que tu as sorti l’année dernière, qui est un vrai trip et se déroule comme une bande originale de film. Cet album était plus centré sur les synthétiseurs et les textures, ce que l’on ressent aussi dans le morceau "Exister". Est-ce quelque chose que tu souhaites développer de plus en plus ?
Depuis le début de Soft Moon, j’ai toujours expérimenté sur les textures et les atmosphères. De façon naturelle, j’ai toujours voulu créer une musique que l’on pourrait visualiser. Bien sûr on peut l’entendre, mais je voulais qu’on puisse la voir avec nos yeux et notre esprit. De la musique cinématique même si cela sonne ironique car on ne peut pas la voir techniquement parlant.  Cela fait partie de mon style.

De ce fait, as-tu des images en tête ou des couleurs quand tu composes ?
Auparavant, oui. Pour le premier disque, je voyais vraiment des images et des formes et c’est de là qu’est parti tout le graphisme constructiviste, inspiré du Bauhaus. Et pour une raison qui m’échappe – et tu es le premier à me poser la question – cela a disparu. Aujourd’hui, tout est basé sur l’organisme, les choses intérieures. Seulement les sentiments et l’humain. Au début j’étais vraiment dans une recherche esthétique, comme du design. J’étais graphiste à l’époque et je voulais que mes émotions s’inscrivent dans un concept visuel. A présent, je me rends compte que cela va au-delà. J’apprends chaque jour.

L’aspect visuel est très important dans le projet. Je pense à la vidéo de "Monster" qui est très organique, à la surface du corps. Dans "Become the Lies", tu danses comme un fou. Même dans ces vidéos du dernier album, tout tourne autour du corps.
Toujours. Le corps a toujours été important, et puis il y a mon album solo, A Body Of Errors. Il y a une étrange fascination chez moi mais je suis aussi horrifié par l’idée de vivre à l’intérieur d’un corps. Le sang dans nos veines, le squelette sous la peau, cela me hante, ça me terrifie et me fascine. Mon expression se base sur les émotions de quelqu’un qui vit à l’intérieur d’un corps humain. C’est presque une formule qui pourrait résumer l’essence de Soft Moon.

Le fait que tu t’es toujours isolé pour écrire tes albums précédents, Deeper en Italie, Criminal à Berlin. Est-ce que la pandémie et l’enfermement forcé a changé quelque chose à ta façon de faire ?
J’emmerde la pandémie. Des tas de personnes l’ont vue comme une opportunité pour composer de la musique. Je ne voulais pas faire un album parce que je n’avais rien d’autre pour m’occuper. Ce n’est pas comme cela que je fonctionne. J’ai attendu, et dès que les choses se sont améliorées, j’ai commencé à écrire. Ma musique ne se construit pas sur de l’ennui, elle tire son essence des expériences que je traverse. Pendant la pandémie, j’étais seul et ne faisais l’expérience de rien. Et je ne voulais surtout pas faire comme ces artistes qui ont dit, voilà ce que j’ai fait pendant la pandémie. Mes meilleures chansons me sont venues quand je vivais des expériences de vie. Il fallait que je vive de nouvelles choses. Donc j’ai attendu. Exister n’est pas un album de la pandémie.

Le terme même "exister" renvoie à l’existence et à l’expérience. D’où est venu ton choix d’utiliser ce mot pour représenter l’album ?
Je ne sais pas pourquoi mais depuis que je suis enfant il y a une poignée de mots que j’adore, "exist" et "abyss" en font partie. Quand j’ai décidé de nommer l’album Exister, je pensais que j’inventais un mot, mais en fait c’est un verbe en français. Je l’ai appris plus tard mais ce n’est pas grave. J’ai de grands fans en France et j’ai une connexion forte avec eux. Et comme tu as pu l’entendre, chaque chanson du disque est très différente l’une de l’autre. C’est vraiment le concept de cet album. Mon premier disque traitait de l’enfance d’une façon étrange. Zeros, mon second album, était sur un monde dystopique, post-apocalyptique. Avec Exister, je ne voulais plus me sentir enfermé dans un genre. J’ai beaucoup à dire, je joue des tas d’instruments, pas juste de la guitare, et pour moi, c’est comme quand je danse sur la vidéo de "Become the Lies", j’ai envie de devenir plus transparent. J’ai besoin de cette honnêteté à présent.

Je voulais te demander si "Stupid Child" était une sorte de pied de nez aux Swans, vu que chez toi c’est un morceau très rapide, alors que le morceau "Stupid Child" de Swans a été fait au milieu des années 1980, dans leur période très lente et lancinante.
C’est une coïncidence super, parce que j’adore ce groupe. Pour tout te dire sur cette chanson : quand j’étais gamin, je regardais MTV, et je voyais ces guitaristes avec leurs cheveux blonds, leur son de fou, c’était comme un rêve que j’avais envie de réaliser. Mon oncle m’a alors offert pour Noël ma première guitare en vendant de la drogue en prison. Et après quarante ans de peine, il vient d’être relâché. Gamin, je m’entraînais beaucoup sur du punk rock dans ma chambre. Ma mère menaçait de casser ma guitare si je continuais à imiter cette merde. Et je me sentais comme un "stupid child". C’est de cela qu’il est question dans le morceau. C’est un morceau puissant et rapide sur mon enfance.

Un autre des instruments que tu joues, ce sont les percussions. Certaines semblent fabriquées et récupérées comme sur un album d’Einstürzende Neubauten.
Oui, c’est primaire. Franchement, je pense que je n’aurais jamais joué de guitare si j’avais pu avoir une batterie. Je ressens un plus grand soulagement quand je frappe sur des choses. En concert, je joue les deux. Et pour moi, ces instruments, c’est des "je vous emmerde".

Il y a aussi des invités mentionnés sur l’album. C’est la première fois. C’est vraiment une collaboration ?
Je vais être honnête avec toi. Le label était inquiet que je n’atteigne pas un nouveau public avec le dernier album, donc ils ont suggéré que je travaille avec des personnes de la génération plus jeune. Je dirais qu’avec fish narc on est devenu des amis très proches même s’il vient d’un monde musical très différent du mien. Alli Logout m’a été suggérée. J’ai toujours voulu travailler avec une femme, et je suis heureux que ça ait eu lieu, mais c’est du business  musical. Je ne peux te donner de réponse plus satisfaisante.

Parlons plutôt de la fois où tu as collaboré avec John Foxx pour "Evidence".
Ah ça, c’est une autre histoire. Là on parle d’une vraie légende. Il va venir me voir sur scène dans quelques jours à Londres. C’est comme un rêve. L’album Metamatic est tellement incroyable… C’est lui qui est venu me chercher il y a quelques années. C’est étrange, normalement ç’aurait dû être le contraire. Il m’a envoyé une pièce musicale, j’ai rajouté des choses, et on a fait pas mal d’aller-retour. C’est devenu le single qu’il a extrait de cet album.

Vas-tu aussi sortir une version instrumentale d’Exister, comme tu as pu le faire pour des albums précédents ?
Je pense, oui.

Tu as déménagé dans le désert californien pendant l’enregistrement ?
Oui, pendant l’enregistrement et celui d’A Body Of Errors. A présent je suis à Los Angeles.

Penses-tu que cela a eu un effet ?
Non, ça ne m’a rien apporté de bien. Je me sabote tout le temps quand je fais de la musique, mais là c’était le sabotage suprême. Je suis retourné chez moi en pensant que je trouverais une vie plus paisible, que je serai bien avec ma famille. C’est devenu encore pire. Mais à présent que l’album est fait, je suis en paix. La musique me guérit.

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The SOFT MOON | LIVE FR 2022
17/10 | Feyzin - L'EpicerieModerne
20/10 | Tourcoing - Le Grand Mix
28/10 | Amiens  - La Lune Des Pirates
29/10 | Paris - Le Trabendo