Cela faisait cinq longues années sans nouvelles du festival This is Not A Lovesong de Nîmes, organisé par Paloma et Come On People depuis 2013 ; et il faut dire que cela nous a manqué : un rendez-vous à taille humaine, pour célébrer la musique indépendante.
Ce n’est pas un regroupement tout petit non plus, car cette édition du retour a quand même rassemblé dans les 7000 spectateurs, mais cela reste accessible. Pour le coup, celui que tout le monde nomme TINALS s’est rebaptisé Beau Weekend, avec une programmation partagée sur deux jours, avec moins de têtes d’affiches mais la volonté de faire découvrir des artistes émergents ou que l’on n’a pas l’occasion de voir souvent. La curiosité et l’éclectisme en mot d’ordre et c’est déjà beaucoup.
Car il n’y a rien de plus jouissif que de passer des ambiances de bayou de Louisiane à de la synthwave tourmentée, du rock crado ou de la pop fantaisiste ! C’est aussi et surtout un moment convivial pour se retrouver et échanger quelques mots avec les amis tout en allant d’une scène à l’autre (quatre au total) pour essayer d’en capter le plus possible. Le moins qu’on puisse dire c’est que ça enchaîne et qu’il est quasiment impossible d’assister à tout, surtout si on est pris d’une petite faim ou si l’on veut assister à un concert dans son intégralité.
Au final, nous ne verrons que deux concerts en entier, mais… quels concerts ! Tout d’abord, c’était le retour de John Maus sur la scène de Paloma après sa prestation extraordinaire de 2018 qui avait fait la part belle aux titres de l’excellent Screen Memories (2017). Peu de temps après son frère Joseph Maus, bassiste de la formation live, allait perdre la vie, et pendant plusieurs années, l’artiste s’était fait discret. Mais voilà, un nouvel album de seize titres est prévu pour septembre et ces morceaux, que l’on a pu découvrir à cette occasion, sont totalement enthousiasmants. Mention spéciale au très beau "Because we built it". Synthés gothiques à souhait, voix caverneuse, mélodies entêtantes, basse en avant, percussions électroniques minimales et imparables, le son est toujours là, plus fascinant que jamais, et se mêle sans problèmes aux désormais classiques "Touchdown", "Pets", "Believer", "Cop Killer" ou "The Combine". Seul sur scène, John Maus transforme en quelques secondes sa cold mélancolique en une transe frénétique mêlant gestuelle obscène, aérobic, squats, balancements de tête aliénés et hurlements sans micro.
Le résultat est déstabilisant, à la fois drôle et touchant. Sa chemise est trempée. Je suis au premier rang, nous sommes recouverts par sa sueur comme des jets d’eau violents. Il donne tout, puis parfois se fige, ses yeux fermés. L’ambiance devient mystique. Il saute comme s’il allait s’envoler. Il arrive à tenir sa performance sur la durée. À la fin du concert, il s’approche du public et discute avec nous. Il demande si on n’est pas déçu qu’il soit sans son groupe. Il est charmant, pas du tout l’image de l’artiste autiste et psychotique. Forcément, avec tous ces exercices, son corps est parfait. Il nous laisse avec l’image de son visage expressif et possédé. Difficile de redescendre après cette expérience et d’entrer dans le rock plus conventionnel de The Murder Capital. On veut juste rester dans cette émotion.
Pourtant, même pas une heure plus tard, la surprise viendra de Louisiane avec Robert Finley. Le contraste est saisissant. Vieux blues, voix chaleureuse et incandescente qui virevolte haut dans les aigus, backing band enchapeauté et virtuose. On a l’impression d’être au fin fond du Sud des États-Unis alors que Finley nous fait tout un show sur la beauté de la vie et les problèmes liés à son grand âge. Son dentier rayonne alors qu’il évoque les maisons de retraite et la solitude des vieux ("Nobody wants to be lonely"). On ne s’ennuie pas une seconde et c’est ce qu’on apprécie dans l’esprit TINALS : l’effet de décalage entre les différentes propositions scéniques. La grande chance c’est que ces deux moments ont eu lieu dans la grande salle climatisée. La canicule (38°C à l’ombre) a rendu les concerts en extérieur physiquement difficiles à apprécier, et le mérite des musiciens à jouer en plein soleil est d’autant plus grand.
Dans le lot, pas mal de groupes intéressants dont les Anglais de BDRMM, avec un gros son appuyé sur des percussions puissantes réverbérées et des guitares shoegaze à souhait qui surnagent un canevas de compositions électroniques très travaillées. Le quatuor, en tenues estivales et en shorts, a su créer des climats denses et entraînants malgré la chaleur implacable. C'est dans ce genre de découvertes que TINALS assure, comme quand le duo Party Dozen déboule avec leur saxophone.
Pour le reste, il y avait bon nombre de groupes entre indie rock et post-punk, dont la personnalité ne semblait pas encore très définie et qui avaient du mal à sortir du lot, si ce n’est Ghostwoman avec sa chanteuse-batteuse ou le son fusion d’Enola Gay ; mais entre le rock psyché de Kadavar ou le hip-hop de Deki Alem, il y avait de quoi faire et pour tous les goûts. On regrettera les problèmes techniques pour Death in Vegas qui ont rendu l’appréciation du concert très difficile, avec des branchements très longs entre les morceaux, malgré un son électronique et cinématique qui aurait pu nous séduire, ou la drôle d’idée de remplacer un concert par un concours de karaoké. Nous n’avons pas non plus été convaincus par les terrains de beach volley dont le sable, porté par le vent brûlant, nous recouvrait de sa fine pellicule graisseuse et se nichait dans nos yeux déjà embués par la sueur.
Au final, il y a eu quand même 28 groupes internationaux, des off dans des bars de la ville et de quoi passer un excellent week-end. L’attente pour se faire servir des bières était bien plus rapide que les dernières années du festival – bravo à l’efficacité des bénévoles – et la nourriture était bonne. Surtout, nous avons retrouvé l’esprit du TINALS des premières années qui s’était transformé au fur et à mesure en une grosse machine. Aussi, cela a été un vrai plaisir de revoir beaucoup de têtes anciennes et d’amis revenus profiter de cet événement, assez unique dans le sud de la France. Il faut dire que le virage un peu plus grand public et commercial des dernières années avait refroidi certains qui ont ici retrouvé leur curiosité. Le rendez-vous est pris pour l’an prochain... évidemment ! ǂ