Il en est de Treponem Pal comme de beaucoup de groupes de cette génération des années 1980. Les années passent, les corps vieillissent, mais l'esprit reste intact ; et, avec cette constance rebelle et appliquée, la musique demeure.
La force de Treponem Pal est de savoir où ils vont et comment y aller. Faire une musique qui englobe des influences depuis longtemps digérées, puisque Treponem Pal est devenu en quelques années un fer de lance du rock industriel. Ne pas se prendre la tête en célébrant la fougue du rock et du groove. Aller dans des territoires arpentés par Voivod ("We are One"), puis se lancer dans un dub space industriel ("Escape the Pusherman"). Reprendre du Suicide mais avec le son des copains des Young Gods. Accepter d'avoir des formules, des recettes, de les utiliser et de bonifier ce qui peut l'être. Alors, oui, on ne peut que citer la feuille de presse : Marc Varez de Vulcain (oui, Vulcain, les plus anciens saluent le bonhomme) a ouvert son studio, Maz (Lofofora, Tagada Jones, mais aussi Elephant System) a mixé l'ensemble des instruments pour que ça ait de la profondeur. Le mastering ? Un cador (NDLR : et fan, et ancienne connaissance du groupe) : Maor Appelbaum (Fields Of The Nephilim, Sepultura, Faith No More).
Ainsi le traitement de la voix : elle a pris de la bouteille cette voix, de l'assise, de la force. D'autres se diraient que ça suffit. Mais pas eux. Marco place des effets, pour donner une teinte, un vernis, un cachet. Il joue avec ses cordes vocales comme les autres triturent et préparent le son de leurs instruments. La batterie, jouée, possède cette résonance saccadée et ce son presque digitalisé. Elle tape mécaniquement mais avec une frappe qui sonne humaine, live, matérielle, perturbant notre oreille ("Social Cases"). C'est un jeu, un plaisir de trouver comment entrer dans un spectre sonore en créant un collectif. J'évite le name-dropping : allez voir les clips de ces derniers mois. Qu'on se le dise, Treponem Pal est une bande. Pour de vrai. Et désormais il y a un retour de fougue, tout paraît évident et leurs sorties se succèdent.
Les guitares lead doivent habiller, donner plus à entendre qu'un simple solo, elles doivent habiter et ouvrir une autre dimension. C'est réussi avec l'enchaînement d'une plainte chorale féminine : que se passe-t-il sur ce "Holy dirty Money" ? Les compétences se déploient, les frontières s'effacent, la musique se délivre, prend le temps, offre un univers identifiable, singulier. C'est du Treponem Pal pur jus, mais à la sauce 2025. Quand bien même la partition de base aurait pu être écrite, mettons en 1997 (l'album Higher est revendiqué, son interprétation est de cette année).
C'est pour ça aussi qu'on aime retrouver Treponem Pal. Ils savent prendre le temps. Je regrettais les années passées (sans m'en apercevoir !) entre Screamers (2023) et Survival Sounds (2012). Je constate une fois de plus que la maturité leur permet de créer des titres, de les faire tourner entre eux, de les enregistrer, puis de les annoncer et de les défendre. Ils savent qu'il faut accepter de se poser, d'attendre, pour ne sortir que ce qui est bon et évident, nécessaire. Chacun vit sa vie à côté du groupe. Treponem Pal doit rester une passion, un objet qui les dépasse et auquel ils doivent l'honnêteté. Ne pas gâcher ce potentiel, cette marque. J'imagine que lorsqu'ils se mettent dans la peau de "musicien de Treponem Pal", il doit y avoir une émulation, une joie, une puissance.
S'amuser encore : sur un titre intitulé "Punk Phenomena", balancer un groove techno, des cuivres synthétiques, des triturations acides, sans donner dans le big-beat ou dans le digital hardcore. Brouiller les pistes, réécrire l'Histoire, casser les codes. Aller plus loin dans le dub en le noyant d'un esprit blues et funk du XXIème siècle sur "Fly off" (pas ça qui leur assurera une invitation au festival Jazz In Marciac, malheureusement).
En tout cas, c'est comme ça que je l'entends et que je voyage à mon tour. "Helleluia" : c'est un Paradis et une vision de l'Enfer, un sommet qui donne un panorama. On oublie les corps qui vieillissent, les leurs, les nôtres, on se retrouve en vie, en pleines sensations, en pleine extase d'entendre et de ressentir. Un trip ? Si, si, montez le son, baissez les lumières ! Vous avez vu qui a travaillé l'album ? Aucun risque pour vos enceintes ou vos oreilles, c'est propre et énergique. Tout y est : le tripot interlope, les odeurs de cigare, la boîte de nuit ou le dancefloor dark, les sauts de pachyderme sûr de soi, la salle de muscu, le trail en montagne. La nuit en voiture. La musique prend corps, assure des univers aussi divers que nos envies.
Oui, Treponem Pal JOUE de la musique. Tout est dans la polysémie gentiment tournée de ce verbe. Jouer.