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Interview
17/08/2021

Unknown Pleasures Records

À propos de 'Honoris II - Tribute to The Sisters Of Mercy & The Sisterhood'

Catégorie : albums hommages
Genre : g*th*c rock ("the word in G") / post-punk
Posté par : Emmanuël Hennequin

Honoris II : le second d’une série d’hommages. Quelque chose est en train de naître au sein du catalogue d’Unknown Pleasures Records, label que porte à bout de bras, depuis des années, l’assoiffé de partage Pedro Peñas Robles. Honoris II : un tribute de belle qualité dédié en l’occurrence aux deux projets phares d’Andrew 'Von' Eldritch : The Sisters Of Mercy, toujours actifs, et ce Sisterhood que Von créa en presque un tour de main en compagnie d’Alan Vega, James Ray ou encore Patricia Morrison (ex-Gun Club, future Sisters / The Damned) et d’autres, histoire de faire barrage à la tentative de ses ex-musiciens Wayne Hussey et Craig Adams d’utiliser ce patronyme pour leur nouveau projet post-Sisters, en 1986. Une collection de reprises concentrée sur la première période de création des Sisters et qui, outre le fait de recréer le son d’une époque, lui rend hommage en en capturant l’esprit sans forcément singer toutes ses formes. L’occasion aussi de rappeler que le gang mouvant The Sisters Of Mercy, quelles qu’aient été leurs incarnations, a d’abord été le faiseur de chansons durables et marquantes. Pedro revient pour Obsküre sur les raisons qui motivent aujourd’hui à la parution de  cette collection de remakes, à la fois chez UPR (digital / CD) et dans d'autres formats (k7, vinyle) chez Industrial Complexx et Oraculo Records.

Obsküre : Le recours au terme "Honoris" dit beaucoup de choses sur la portée symbolique de chacun des tributes ainsi nommés et publiés par UPR. Comment The Sisters Of Mercy sont-ils entrés dans  ta vie et quelle place occupe le groupe dans ton paysage personnel ?  
Pedro Peñas Robles (UPR) : J’ai découvert The Sisters Of Mercy début 1984 sur Avignon, j’avais seize ans. Un camarade de lycée qui animait une émission de radio new wave locale – le futur journaliste et universitaire Frédéric Martel, qui bosse à France Culture aujourd’hui – avait amené en classe quelques vinyles prévus dans sa programmation du soir. L’un de ces EPs était le maxi Temple Of Love sorti un an auparavant. J’ai tout de suite bloqué sur cette pochette noire et verte, avec un soleil noir rayonnant d’inquiétants rayons verts, puis cet énigmatique logo sur le macaron du vinyle représentant une tête de profil dans une étoile à cinq branches, laquelle m’a irrémédiablement fasciné. Alors le soir même, j’enregistre sur cassette ce morceau que Frédéric Martel passe dans son programme et je deviens fan hardcore de la bande à Andrew Eldritch. Ce tube est devenu l’un des dix morceaux les plus appréciés à La Guinguette Du Rock, club près d’Avignon dans lequel j’officiais comme DJ. Aujourd’hui "Temple of Love" est trop cramé, on l’a entendu des milliers de fois depuis trente-cinq ans, tellement usé que je n’éprouvais aucune excitation à le faire reprendre sur Honoris II. Pareil pour "Walk away", "No Time to cry" ou "Alice". Durant mon adolescence, les Sisters ont longtemps fait partie de mes groupes préférés avec The Cure, Joy Division, Bauhaus, Virgin Prunes, Nick Cave & The Bad Seeds, Front 242, Nitzer Ebb, Skinny Puppy et DAF. Honoris est un mot latin qui signifie "honneur", décliné ensuite en "honorer" et tous les dérivés qui s’y rapportent. Au fil des siècles le sens a linguistiquement dérivé vers cette forme de distinction qu’il a aujourd’hui. "Honoris" : qui fait honneur, estimé, honoré, considéré, digne d'honneur et marque de distinction. Notre série Honoris, c’est ma façon d’honorer musicalement les groupes qui m’ont durablement marqué.

As-tu établi une liste de titres que tu souhaitais a minima voir repris dans le cadre du tribute, ou chaque intervenant est-il resté maître à la fois de son choix ?
Oui, absolument. Comme à chaque projet visant à reprendre des compositions qui ont forgé ma culture musicale et ma personnalité, je souhaite garder le contrôle, tout en ayant en tête que les artistes ont aussi leur propre égo et qu’en leur proposant un titre à reprendre, il faut que l’âme du titre choisi puisse se dissoudre délicieusement dans leurs univers sonores respectifs. Je propose donc toujours un morceau en fonction de la capacité de chacun à le transcender. Mais comme souvent il y a des exceptions, car A Wedding Anniversary, Karloz de Manufactura, Selfishadows, The Raudive et Chris Shape se sont manifestés avec un morceau en tête, et quand on me dit "I feel this song so much !" je n’ai aucune raison d’en douter (rires). Mais cette attention portée à ne pas surévaluer, ou sous-évaluer, la capacité technique d’un groupe à faire mieux que l’original, reste pour moi une forme d’exigence à laquelle je ne peux vraiment pas déroger si je veux éviter la médiocrité. Ça fait tellement longtemps que je m’exprime avec un esprit critique assez virulent dans la scène goth, et je suis souvent détesté pour ça, que je n’ai pas le droit de me planter et de sortir un truc merdique. Je suis ainsi condamné à placer la barre un peu plus haut, non sans une certaine forme de fierté, cette fierté ibérique que beaucoup de Gaulois prennent pour de l’arrogance (NDLA : Les Gaulois saluent la péninsule chérie !). Ma motivation réside juste en une flamme inextinguible : elle brûle profondément, et je n’arrive pas toujours à la contrôler. Cette passion me pousse à proposer de belles choses avec un esprit, une âme, une profondeur qui touche à la mystique de chacun, et qui parle aux gens qui pensent que la musique se doit de rester quelque chose de sacré, et ne peut être conçue comme un simple produit de divertissement… ce qui est malheureusement trop le cas aujourd'hui, jusque dans nos scènes obscures.

L'absence de titres issus de la période metal des Sisters, à savoir le début des années 1990, est-elle un postulat de départ d’Honoris II ?
C’était voulu ainsi dès le début. Comme tu te doutes bien, je déteste Vision Thing, ce son hard rock FM, cette prod’ vulgaire de Jim Steinman sur "More" et Eldritch qui cabotine à mort, c’est du "sous-Billy Idol" comme nous disait l’un des guitaristes de Fields Of The Nephilim lors de leur passage en concert à Nîmes en 1991. Je suis très critique sur ce sujet. Je suis allé voir les Sisters en live pour la première de ma vie lors de la tournée de Vision Thing à Wembley (Londres) et à Murcia (Espagne) en 1990 et 1991… puisque pour Floodland, il n’y avait eu aucun concert. En live, c’était excellent à l’époque… mais je détestais vraiment les derniers morceaux, qui avaient perdu toute la folie post-punk du Sisters des débuts et ce mystère qui nous fascinait tous, qui allait au-delà de la fumée artificielle dont Andrew a toujours abusé… par timidité, probablement. Bref je ne vois pas comment j’aurais pu rendre hommage à une composition de cette époque qui s’acheva dans la mièvrerie la plus absolue avec la balade ultra commerciale "Under the Gun" (NDLA : un EP corrélé à la compilation de singles A Slight Case Of Overbombing, et comprenant notamment un remake d’ "Alice"). Soyons sérieux, si on excepte le premier single "The Damage done" sans intérêt, tout le monde sait que Sisters Of Mercy ce sont avant tout les guitares acides de Gary Marx et Ben Gunn, la basse de Craig Adams, le kick métronomique de la DR55 Doktor Avalanche et la voix grave d’Eldritch. Dans la période 1982-1984 ils étaient au sommet. John Peel les adorait, la presse était bluffée par cette puissance et cette noirceur en live, Andrew apparaissait habité et décharné sur scène, il devenait un prophète de l’Apocalypse, un maître de confrérie. Puis est arrivé Wayne Hussey avec ses foulards bariolés au poignet et ses arpèges de guitares cristallins, et The Sisters Of Mercy ont basculé dans le rock gothique limite progressif tout ce qu’il y a de plus classique… jusqu’à ce qu’Eldritch sonne la fin de la partie et reprenne en main son empire obscur en donnant à Floodland un espace épique et synthétique, impressionnant pour l’époque. Même si pour moi Floodland est un album solo d’Andrew, je suis fan du son minimaliste de ce disque comme de celui du Gift de The Sisterhood. Je me souviens le jour où j’ai acheté le 12’’ de "This Corrosion" et que je l’ai posé sur les platines du club où je bossais, tout le monde a halluciné. Le morceau était pourtant assez simple au niveau composition, sans guitares, avec des chœurs fantastiques en intro… Il n’avait aucune chance de plaire à notre public, et pourtant ça a cartonné tout de suite. La voix d’Eldritch, majestueuse sur cet album, n’y est pas pour rien, et quand a atterri le maxi de "Lucretia My Reflection" sur ma platine de DJ en 1987 avec ses dix minutes sur une face, j’ai pu enfin avoir le temps d’aller pisser, etc., et revenir à temps pour enchaîner avec le track suivant.

Comment s’est fabriquée la reprise de "Flood II" signé de ton projet HIV+ et Sébastien Faits-Divers ? Quelle était la ligne directrice ?
"Fabriqué" est un peu moche comme mot (NDLA : Ah bon ?), on ne fabrique rien, on chante, on joue et on enregistre, et la passion faisant des miracles parfois, il nous arrive de transcender l’objectif que nous nous étions fixés. C’est une re-création. Pour "Flood II" c’est très simple, j’avais proposé à Sébastien Faits-Divers de le reprendre et de se trouver le chanteur approprié pour l’interpréter. À une semaine de la deadline Seb m’a demandé de lui prêter ma voix. Comme nous avions déjà fait une reprise pas dégueulasse du titre de Death In June "Accidental Protégé" qui a beaucoup plu – et qui a beaucoup déplu aussi, tout dépend de quel côté on se trouve comme dans Star Wars – eh bien je me suis dit : pourquoi pas ! Bon je t’avoue, j’étais flippé d’avoir à chanter un truc de Sisters, car là encore si je m’étais manqué on ne m’aurait pas raté (rires). Mais a priori c’est une des reprises que les fans de Sisters préfèrent, et j’en suis encore tout émoustillé.

Aurais-tu eu envie que des titres non enregistrés en studio car écrits depuis 1990 et uniquement joués sur scène depuis vingt à trente ans pour certains – et le lot continue d'augmenter, visiblement – puissent apparaître dans la compilation ? "Will I dream", "Suzanne", etc.
Nous avions bien sur pensé à reprendre "Suzanne" dans les nouveaux titres que ma copine et moi aimons bien, mais si je m’étais permis de faire enregistrer par un de nos groupes une composition d’Andrew, que lui-même n’a jamais encore publiée, alors je pense qu’on aurait eu des petits problèmes avec ses avocats (rires).

Le line-up de Sisters Of Mercy a évolué à chaque format long. Outre le statut de leader charismatique qu'on lui reconnaît volontiers, Eldritch est-il selon toi : 1) un directeur artistique ? 2) Le gérant d'une marque ? Les deux ? Quel portrait ferais-tu de lui, quel est ton Andrew Eldritch ?
C’est tout en même temps, mais pour moi c’est avant tout une voix unique et une présence charismatique qui a hanté ma jeunesse comme un Dark Vador des ténèbres qui nous soufflait de venir le rejoindre dans son univers dystopique et dopé aux amphétamines. Comme beaucoup d’anciens goths je préfère la période 80’s du groupe, avec un fort penchant pour tout ce qui est sorti avant l’album First & Last & Always, dont je n’aime que la moitié des titres car je trouve que les accords de Wayne Hussey appauvrissent la cathédrale sonore de Von E., la rendant plus maniérée et baroque – ce qui, selon moi, a considérablement réduit le côté "tendu" et "mystérieux" du groupe de Leeds !
Mon Eldritch à moi c’est celui de la VHS Wake (In Concert At The Royal Albert Hall), cette voix profonde qui te fait sentir invincible quand tu as seize ans et que tu marches dans la brise hivernale, ton walkman vissé sur les oreilles et la cassette calée sur "Nine while nine". J’ai retrouvé ces sensations en écoutant les versions de Kill Shelter, A Wedding Anniversary, Delphine Coma, Selfishadows, Versari ou Years Of Denial pour Honoris II. Et puis il y a cette reprise électro de "Body electric" par Chris Shape qui m’a fait ressentir une sorte de goût métallique dans la bouche, comme une réminiscence des amphétamines qu’on gobait dans notre jeunesse.

J’aurais aussi beaucoup de critiques à émettre à l’encontre d’Eldritch : ce choix alimentaire qu’il a de gérer son catalogue en proposant sur scène des versions heavy rock, bien en deçà de ce qu’il était capable de nous offrir live vers 1983-1984, avant que Gary Marx quitte le groupe et laisse Hussey seul à la guitare. Mais malgré mes déceptions après l’avoir revu en concert en 2011 et 2016, j’ai beaucoup d’affection pour cet homme, pour son œuvre et le bien qu’il nous a fait quand nous étions jeunes. Au milieu des années 1980, The Sisters Of Mercy m’ont sorti du spleen suicidaire dans lequel je m’enfonçais adolescent avec The Cure ou Joy Division. Ils m’ont donné envie de lever la tête, d’aller de l’avant, le torse bombé, à la conquête du monde.

D'autres tributes verront-ils le jour sur UPR, et si oui, quand et quelles sont tes premières envies à ce sujet ?
Le prochain Honoris rendra hommage à Bauhaus, avec là aussi le meilleur du meilleur pour reprendre les titres les plus impressionnants de la bande à Peter Murphy et Daniel Ash. Puis le suivant sera un hommage à Rozz Williams et au Christian Death des débuts. Mais pas avant l’année prochaine pour l’un et 2023 pour l’autre.