Digital Media / Dark Music Kultüre & more

Chroniques

Musiques, films, livres, BD, culture… Obsküre vous emmène dans leurs entrailles

Image de présentation
Album
23/07/2020

V/A

Fangs

Label : Mongrel Records
Genre : mezze métallisé
Date de sortie : 2020/05/22
Note : 65%
Posté par : Sylvaïn Nicolino

Emmenée par la formidable locomotive qu'est le titre "All you need is Speed" de Ruff Majik [cliché ci-dessous], la compilation Fangs donne un aperçu incisif sur la musique rock en Afrique du Sud. Ce premier titre se place dans une lignée stoner, mais avec un tableau percussif bien plus violent. L'énergie est intense. Et leurs comparses de Peasant s'ingénient à jouer un hardcore métallisé, classique dans la forme (au son un poil étouffé cependant). Titre après titre, ce sont les nouvelles pousses du metal sud-africain qui lancent leur carte de visite.

Fangs, avec le loup tricéphale qui orne sa pochette, affirme un esprit de meute, mettant en avant un effet de troupe pour assurer une visibilité à une "scène" peu visible. C'est que la situation musicale n'est pas évidente : distances entre les villes (Le Cap – Pretoria, c'est plus de mille-quatre-cents kilomètres !), hyper productivité mondialisée dans les registres des musiques à guitares lourdes, non-conformité aux clichés pittoresques établis. Alors que la/les musique(s) traditionnelle(s) ne cesse(nt) de se réinventer tout en écrivant leurs histoires (elle aussi passées sous silence un bon moment du temps de l'Apartheid), la jeune génération de Sud-Africains qui aiment le rock cherche à construire ses propres repères. Portée par Die Antwoord, la scène hip-hop a trouvé des débouchés. Il manquait donc un coup de projecteur sur les groupes que l'on découvre ici.

Le chanteur de Deity's Muse [photo] sort rapidement du lot, plaçant son chant sur une composition alt metal bien fichue. On lui préfère l'originalité d'Hokum, une sorte de Marilyn Manson en mode pop-rock plus qu'industriel metal. Une composition élégante, comme un lien entre Europe et USA. Les Hellcats, eux, ne donnent pas dans le psycho, mais dans une énième variation autour de Black Sabbath, en tonalités punk intéressantes. Boargazm font bonne impression également avec leur "intergalactic space metal" (dixit leur bandcamp).

Le titre de Goat Throne (eux aussi bien stoner), de l'appétit pour l'Amérique pointe on ne peut mieux la douloureuse problématique, identique à celle qui sévit en France : il est délicat de copier des genres musicaux déjà très présents internationalement. Certes, il existe des collectionneurs qui aiment épingler des groupes de diverses provenances dans un même registre. Toutefois, pour conquérir de nouveaux publics, il faut donner une couleur à sa musique. Gojira ont sauté les frontières en affirmant une personnalité. De même le rock français qui s'exportait jouait avec les codes, le métissage, usant de la couleur locale et de ses propres appétences (La Mano Negra). Arka'n Asrafokor (du Togo) sont justement ceux qui proposent ce son qu'on attendait, claquant leur mélange sur un mode Sepultura ou encore System Of A Down (même si leur composition est nettement plus légère que celles des aînés). Ils ont eu le droit au micro de RFI, et à leur place sur cette compilation sans cela exclusivement sud-africaine. Comme quoi, il suffit bien d'un saupoudrage épicé pour susciter la curiosité. Ce que ne réussissent pas Truth And Its Birden, trop passe-partout et noyés dans la masse.

Savage Lucy [ci-dessus] est également un groupe à suivre, rythmiquement et mélodiquement ; leur son est un poil léger, comme celui d'une démo. Mais ça sent le vivant. Avec "Vagabond", ils livrent un instrumental de très haute tenue, notamment dans ses riffs aux faux rythmes travaillés et avec un break semi-psychédélique de toute beauté.

Trop de titres pâtissent d'un son étouffé, peu étendu (The Drift) avec des instruments aux sonorités parfois approximatives. Le bon titre aux voix qui percutent de Sunken State se heurte ainsi à un problème de dynamique pour gérer tous les aspects de ce morceau. Matthew Fink, des studios Just Music, a réussi à stabiliser le volume et à masteriser des éléments très disparates auxquels il manque souvent un faiseur de sons. Heureusement, d'autres groupes, plus aguerris, tirent leur épingle de ce jeu : bizarrement le son tiré vers les aigus de Apocalypse Later fait son effet dévastateur sur une sorte de crossover entre hardcore-punk et NWOBHM, leur "Hyena" est fortement addictif.

Au final, cette compilation vaut moins pour sa réalisation technique ou son unité musicale que pour l'ouverture sur un pays et sur une scène qui se défend. Elle prend sens aussi par les questions qu'elle pose.

____

Pour les curieux, le site Metal 4 Africa fédère les fans sur le continent.

Tracklist
  • 01. Ruff Majik : "All you need is Speed" (Afrique du Sud)
  • 02. Peasant : "Destined to Dirt" (Afrique du Sud)
  • 03. The Drift : "Funeral Man" (Afrique du Sud)
  • 04. Sunken State : "This is the End" (Afrique du Sud)
  • 05. Hokum – "Tonight is your Night" (Afrique du Sud)
  • 06. Savage Lucy : "Vagabond" (Afrique du Sud)
  • 07. Deity's Muse : "Erra" (Afrique du Sud)
  • 08. Arka'n Asrafokor : "Tears of the Dead" (Togo)
  • 09. Goat Throne : "American Appetite" (Afrique du Sud)
  • 10. Hellcats : "Wish you were dead" (Afrique du Sud)
  • 11. Apocalypse Later : "Hyena" (Afrique du Sud)
  • 12. Truth and its Burden : "Surfacing" (Afrique du Sud)
  • 13. Boargazm : "Epsilon" (Afrique du Sud)
  • 14. Rhakshah : "Torpor" (Afrique du Sud)