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Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

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Interview
15/11/2023

Vox Low

"Faire une musique mentale, hypnotique, une musique de transe"

Genre : afterpunk / new wave / arty punk / undead dance music
Contexte : parution de l'album 'Keep On Falling' (Born Bad Records, 2023)
Photographies : Sarah Furmanek / Marion Barat
Posté par : Emmanuël Hennequin

Une série de courts, et puis sur les temps récents deux formats albums dont le deuxième vient de sortir chez Born Bad Records : l’electro-arty-punk passé au givre de Vox Low ne cherche pas forcément à faire les choses en grand ou à saturer l’espace mais avec Keep On Falling, la place que ce son a prise dans nos vies devient singulière. Dès les premières écoutes, nous avons ressenti le particularisme de cette vibration : froide, dansante, minimale pour ne pas dire essentielle. Vox Low n’est plus simplement un groupe maître de son style, c’est un groupe évocateur : de cette puissance des choses qui naît de la force de l’intention et la cohérence d’une plastique. Obsküre la sonde, jusqu’aux racines. 

Obsküre : Vox Low prend ses racines dans Think Twice, l’histoire remonte à loin. Après ces années à vous roder live depuis le premier album, y a-t-il une conscience / un sentiment plus fort aujourd’hui de "faire groupe" ? Qu’est-ce que l’on apprend sur le collectif au fil des concerts, sur ce qui fait sa spécificité, sa chimie ?
Jean-Christophe (pour Vox Low) : Nous nous connaissons tous très bien depuis pas mal d’années et au-delà du groupe nous sommes amis dans la vie. Vox Low c’est notre récréation, nous avons tous un boulot à côté. On vit donc chaque concert comme une expérience globale : le fait de jouer ensemble bien sûr et d’y prendre du plaisir, se sentir, connaître les automatismes des autres et rebondir dessus. Mais c’est aussi le fait de voyager ensemble, faire la fête. C'est comme des vacances à chaque fois.

Cette ancienne expérience live vécue à Acapulco, sur la grande scène, ça se gère / se vit comment ? Y avait-il quelque chose à en retenir pour la suite ?
C’était une bonne dose d’adrénaline, de stress, mais de grande satisfaction aussi ! Jouer au Mexique devant 5000 personnes – qui a priori ne nous connaissaient pas ou à peine – et avec les Beach Boys et Seun Kuti qui "ouvrent" pour nous ! On a cru à une blague quand on nous l’a proposé. C’était le petit plaisir du programmateur. On l’a fait, plutôt bien a priori, en tout cas le programmateur était très content. Il nous a grassement payés, donc... Ce qu’il faut en retenir ? On s’est offert dix jours de vacances à travers le Mexique avec le cachet, et nos parents se sont dit qu’on n’était pas des musiciens complètement ratés, finalement.

La période Covid/confinement a été très diversement vécue par vous, les musiciens, et par-delà vous, le monde de la musique. Certains se sont réfugiés dans un nouveau processus artistique, restant dans le mouvement et une forme de positivité ; mais vous, vous avez semblé décrire la période comme plutôt paralysante artistiquement pour Vox Low. Se pose-t-on concrètement la question de la poursuite ou de l’arrêt d’une aventure comme la vôtre à ce moment-là, alors que le groupe n’en est qu’à son premier album ? Voire de l’arrêt de l’activité de musicien tout court ?
Effectivement, pour Vox Low il ne s’est rien passé sur un plan créatif pendant cette période. Chacun chez soi à ranger son appart, s’occuper de ses plantes, lire, mais pas beaucoup de musique. Pour autant il n’a jamais été question d’arrêter. Nous étions très contents de nous revoir et de reprendre les concerts à la réouverture des salles. Puis on s’est remis gentiment à faire de la musique, sans pression, comme avant. Comme on l’a dit précédemment, Vox Low c’est un hobby, pas notre gagne-pain.

À partir de quand avez-vous remis le pied à l’étrier pour Keep On Falling et avez-vous eu le sentiment – comme a priori pour le premier album – que les choses était faciles, qu’elle "coulaient d’elles-mêmes" pour ce second opus ?
Il a fallu quelques mois pour qu’on trouve la trame. En mars 2022 nous avons eu la chance de récupérer un local à La Station Gare des Mines pour en faire notre studio. Ça a débloqué pas mal de choses et en septembre nous avions des versions quasi-définitives des nouveaux morceaux.

Le nouvel opus est un bloc de son à la fois éclectique mais uni par une forme de mouvement, un feeling hypnotique. Personnellement, Keep On Falling m’invite à la danse mais, dans le même temps, me fait comme m’absenter de mon corps (le beat obsessionnel, les basses qui tournent, leur linéarité, etc.) – bref, l’effet est singulier. Vous, physiquement, votre musique, elle vous fait quoi ?
Contents que ça te fasse cet effet. C’est un peu l’objectif : faire une musique mentale, hypnotique, une musique de transe. C’est un peu dans cet état d’esprit qu’on est sur scène, mais en dehors de la période de création, nous n’écoutons pas beaucoup notre musique (sourire). Des sentiments très contradictoires selon les jours. Donc on évite.

Quelqu’un entre dans votre histoire : Jérôme Pichon, dont le jeu de guitare tranche mais sans monopoliser tout le spectre. En quoi son arrivée a-t-elle modifié les équilibres existants et influé sur votre pratique et sur la vision de votre sound design ?
Jérome remplaçait déjà Guillaume sur scène quand il avait d’autres engagements, et ce depuis plusieurs années. Il est devenu membre à part entière du groupe quand Guillaume est parti pour d’autres aventures. Il a effectivement posé ses guitares sur deux morceaux de l’album, "We Walk" et "Breathless Tuesday" (c’est Benoit qui les faisait toutes jusque-là). Il a un jeu et un son incroyable. Mais c’est globalement qu’on a laissé plus de place aux guitares sur cet album. Sans volonté particulière, ça s’est fait comme ça.

À quel point Aurélien Bonneau joue-t-il aujourd’hui un rôle dans la définition de votre son studio, et tout spécialement sur Keep On Falling ? Peut-on parler de codirection artistique entre lui et les musiciens du groupe ?
Aurélien est l’ingé-son du groupe surtout sur scène, où il faut bien connaitre les morceaux et les musiciens pour créer le parfait équilibre entre les instruments. Sur la partie créations c’est un travail collectif, auquel il participe bien sûr mais sans place prééminente.

Qu’est-ce qui fait que vous "sentez" Aurélien à ce point, que ce soit humainement ou dans vos référentiels ?
Ca fait bientôt 10 ans qu’il fait notre son en concert et c’est un ami, un membre du groupe à part entière. Le live est tellement important pour nous, que la présence systématique d’Aurélien est indispensable. C’est un choix que l’on a fait dès le départ, quitte à être moins bien payé mais avoir notre ingé-son en permanence.

"Henry Rode" est issu d’une histoire vraie. Ce qui arrive aux autres est-il une source d’inspiration plus prégnante dans votre art, que ce qui vous arrive à vous-mêmes ? Quelles sont les parts du soi et de la vie des autres, voire de la fiction, dans ce que vous faites ?
Les textes viennent toujours après la musique. On cherche d’abord la musicalité et le rythme dans les mots, le sens vient après. Les paroles peuvent sembler cryptiques parfois, et les inspirations très diverses. Il y a toujours une petite part de notre histoire ou de notre regard sur les choses, les gens, les situations qui nous entourent. Contrairement à ce que l’on a pu lire, nous ne sommes pas nihilistes ou anticonsuméristes, juste un peu critiques, un tantinet cyniques.

Vox Low a sorti un grand nombre de formats courts ou d’EPs depuis sa naissance, et ça peut un peu donner l’impression d’une discographie parallèle. Qu’aimez-vous à ce point dans ce format plus court que l’album ? Quelle(s) facette(s) du groupe souhaitez-vous faire surgir sur les EPs ?
Nous avons commencé par ne faire que des EPs  à partir de 2015, sur des labels différents, plutôt orientés vers la scène électronique. Ça nous laissait une grande liberté, particulièrement quant à la durée des morceaux, souvent au-delà des 8mn. C’est là que se trouve notre ADN et le format album nous a obligés à penser différemment les temps et les structures tout en essayant de ne pas perdre le coté hypnotique et la transe qui émanait des EPs, et que l’on retrouve aussi dans nos concerts.

Votre musique transporte un feeling nocturne (je trouve) mais vous, êtes-vous des noctambules pour autant ? À quel moment, sur un tour de 24 heures, vous sentez-vous vivre au plus fort ?
Compliqué de parler au nom de tout le monde. Ce sera donc une réponse personnelle. Moi, je suis effectivement un noctambule. Pas nécessairement de sortie. C’est souvent la nuit que je fais de la musique. Plus de pression extérieure ou presque. L’impression d’échapper au temps, même si bien sûr c'est une illusion.

J’aime beaucoup ce ressenti que vous exprimez sur la nature humaine dans la dernière question de l’interview avec Sourdoeille de 2018 ("Pas vraiment confiance en l’être humain, et en même temps on l’adore. En même temps c’est un sentiment partagé, on est bons vivants, hédonistes, on aime les gens, se marrer, on aime l’humour. En même temps il y a un truc un peu sombre, un constat. Mais rien de définitif…"). Aujourd’hui, dans ce monde de l’après-premiers confinements, de la guerre "aux portes de l’Europe", du bruit des réseaux (a)sociaux, des fake news, de la peur du déclassement, etc., mon sentiment premier serait que l’optimisme est une sorte de funambulisme… Mais vous, parvenez-vous à rester hédonistes ? À quel point profitez-vous de la vie ?
Le mot est bien trouvé : funambules. L’époque est anxiogène, notre "bonne conscience" exacerbée, la morale, la raison et le bon sens semblent fusionner. Difficile de faire la part des choses, de prendre du recul dans un quotidien sur(mal)informé, médiatisé à outrance. Alors déclarer qu’on est hédonistes, c’est presque plaider coupable d’égoïsme, d’irresponsabilité, une sorte d’incivilité. Mais oui, notre sentiment reste le même : pourvu que ça dure, tant que ça dure.