Celer est un nom familier pour tous les amateurs d’ambient épurée. En solo depuis maintenant dix ans, depuis le décès de sa femme Danielle Baquet, l’Américain Will Long continue à tracer sa route faite de sonorités minimalistes et évocatrices, d’une sobriété à toute épreuve, une marque de fabrique que nous apprécions particulièrement. Très prolifique, l’artiste, exilé au Japon depuis plusieurs années, parvient néanmoins à conserver intacte une inspiration poétique pour produire des albums élégants. Xièxie ("merci" en chinois, cf. chronique) ne déroge pas à la règle. Long diffuse comme toujours ses nappes douces tout en incorporant des field recordings saisis en Chine lors d’un voyage effectué en 2017, un témoignage sonore extrêmement savoureux. Il revient avec nous sur ses impressions glanées lors de ce périple, sur son statut d’expatrié et sur l’importance d’être indépendant.
Obsküre : Xièxie est un disque de voyage, celui que tu as effectué en Chine en 2017. Pourquoi avoir voulu documenter ce périple particulièrement ? Quelles sensations as-tu expérimentées en allant dans ce pays ?
Will Long : Ce n’est pas un album de voyage. Il s’agit du cadre d’une histoire d’amour, mais cela ne définit pas l’expérience. Le son du mouvement dans un lieu non familier et hostile était représentatif de mes tentatives de gérer un rythme de vie rapide qui devenait incontrôlable. Cela impliquait des sentiments de déplacement, qui n’ont d’ailleurs pas totalement disparu une fois rentré, car je vis à l’étranger.
Mes sensations : la sidération devant les lumières des néons ; redouter que ta destination ne représente que la fin de quelque chose ; rire de façon extatique ; le sentiment de déplacement en général ; espérer la familiarité ; la surprise de ne pas être surpris ; détendu dans le bain ; la pluie humide étouffante ; souvent perplexe ; compulsif comme d’habitude ; dérouté d’être ignoré dans les restaurants ; fatigué de marcher sous la pluie ; mourir d’envie de passer à la suite, tout en ne voulant pas partir.
Tu incorpores ici des enregistrements de la vie quotidienne chinoise, ce qui se marie parfaitement bien avec tes titres d’ambient minimaliste. Es-tu attentif à la scène field recordings ?
Je ne m’intéresse pas vraiment à cette "scène". Mes enregistrements restent très amateurs. Tout le monde peut aller dans ces endroits et entendre la même chose avec un équipement basique. J’ai juste voulu capter un moment et un lieu, pour me rappeler à quoi il ressemblait et quels sentiments j’éprouvais alors.
Quel a été le point de départ de composition de l’album ?
J’ai réalisé de nombreux albums de la même manière, en commençant avec un field recording ou un sample, qui se reflète ensuite dans la musique.
Un titre comme "For the Entirety" a une qualité cinématique certaine. As-tu envie actuellement de travailler pour le cinéma et l’illustration sonore ? Quelles sont les bandes originales qui t’ont marqué ?
Je suis bien sûr ouvert aux propositions. J’apprécie Bernard Hermann, Angelo Badalamenti, Ennio Morricone, John Barry, Jóhann Jóhannsson, Maurice Jarre, Mica Levi, Elmer Bernstein, Max Steiner, Henry Mancini, Sergueï Prokofiev, Popol Vuh, Wendy Carlos, Tangerine Dream, Naozumi Yamamoto et Basil Poledouris, pour en citer quelques-uns.
Tu vis au Japon depuis de nombreuses années maintenant. Comment perçois-tu l’Occident, et l’Amérique tout particulièrement, vu de là-bas ?
C’est une question très complexe, mais voilà ce que je peux dire. Il y a quelques jours je regardais une assez longue vidéo sur YouTube et par intermittence des pubs surgissaient vantant les mérites de différents lieux en Amérique pour attirer les touristes japonais. Elles montraient Miami, avec des yuppies de toutes origines jouant de la guitare et chantant sur la plage en dessous de grands immeubles, ou Jackson au Mississippi, où des gens interprètent du blues en t’invitant à rentrer dans un café situé près d’une voie ferrée. D’une certaine manière, tout est dit avec ces courtes réclames complètement superficielles et inexactes.
Comment l’Asie t’influence-t-elle, aussi bien spirituellement que musicalement ?
Je ne suis pas quelqu’un de spirituel. Sinon, au Japon, eh bien... les instruments d’occasion sont généralement en bon état ! 
Celer est extrêmement productif, et ce, depuis les débuts du projet. As-tu peur de perdre l’inspiration et continueras-tu à l’avenir de maintenir ce rythme soutenu de sorties ?
À propos de ce "rythme soutenu", je n’espère certainement pas continuer ainsi. Mais laisse-moi souligner un point : sortir des albums diffère de composer de la musique, ce qui est le plus important pour moi. Si je souhaitais obtenir plein de likes, je mettrais une photo de chat sur Instagram ; mais j’estime qu’il y a des choses plus essentielles et une plus grande satisfaction à trouver. D’autre part, si je perds l’inspiration, ce serait bien plus grave que n’importe quoi d’autre lié à la musique.
Par le passé, Celer a travaillé avec plusieurs labels, mais a aussi sorti beaucoup de disques en autoproduction. Celui-ci sort chez Two Acorns, ton label. À quel point est-ce important d’être indépendant pour toi ? Il est de plus en plus simple de produire de façon autonome des albums, j’imagine que tu es heureux de cette évolution…
J’aime sortir mes disques de façon indépendante pour plusieurs raisons, en particulier parce que cela signifie de s’impliquer dans de nombreux aspects du processus, et de pouvoir pleinement contrôler la qualité. Mais je ne suis pas un couteau suisse, je n’excelle pas dans tous les domaines. Tout ne fonctionne pas toujours, ce qui laisse des défis à relever.
Quelle serait ta définition idéale de l’ambient ? On connaît bien sûr celle, fondatrice, de Brian Eno. Et aussi, qu’est-ce qu’un morceau parfait d’ambient selon toi ?
Cela ne m’intéresse pas vraiment de définir ce genre. Je ne suis même pas persuadé d’appartenir à cette catégorie, mais c’est celle dont je me rapproche le plus, apparemment. Le morceau d’ambient parfait ? Je dirais tout ce que tu entends quand le reste de l’environnement est silencieux.
Quel est ton planning pour cette seconde partie de 2019 ?
Regarder le nouveau film de Quentin Tarantino, Once Upon A Time in Hollywood, quand il sortira au Japon.
