Digital Media / Dark Music Kultüre & more

Articles

Ténèbres, puits sans fond. Obsküre plonge, fouine, investigue, gratte et remonte tout ce qu’il peut à la surface

Image de présentation
Interview
16/01/2024

Grande Loge

"Faire voyager l’auditoire" | À propos de 'Unruh' & de la collaboration avec Oksana & Gil sur 'Soliloquium In Splendor'

Genre : ambient ornemental / filmic musick / quantum vacuum sound experiment
Sortie : 'Unruh' (Cyclic Law, 12/01/2024 - sortie physique)
Posté par : Emmanuël Hennequin

En créant une bande sonore imaginaire et accompagnatrice du livre Soliloquium In Splendor sorti par Oksana & Gil chez Rivière Blanche, Grande Loge s’est offert une occasion d’expérimenter inédite - et ce dès son deuxième album, successeur du Mantras sorti chez Cyclic Law en 2020. Obsküre revient avec les musiciens impliqués dans l’aventure sur le sens de cette dernière, et pose la question du futur. Un entretien miroir de notre échange avec les auteurs du livre, à l'occasion de la sortie physique d'Unruh, le 12 janvier 2024.

Obsküre : L’écoute d’Unruh, qu’elle se déroule en autonomie ou en concomitance avec la lecture du livre d’Oksana & Gil, caractérise la puissance filmique de la musique de Grande Loge. Y’a-t-il dans votre fabrication sonore, intrinsèquement et depuis les débuts, une ambition de cinématographie ?
Grande Loge : L’une des ambitions de Grande Loge est de faire voyager l’auditoire. Chaque morceau est pensé comme une progression, parfois introspective, parfois plus démonstrative. On peut dire que cet aspect narratif est présent dès le début dans Grande Loge, le parallèle avec le récit cinématographique est donc permis. Nous sommes résolument attachés à la scène et au partage de notre art avec le public, mais l'expérimentation reste le maître-mot du projet et un rapprochement avec le cinéma nous apporterait beaucoup.

Il semble que vous ayez travaillé en autonomie à partir du synopsis fourni par les auteurs de Soliloquium In Splendor. À partir de quand vous êtes senti-vous prêts à fournir les premiers extraits de l’œuvre ? Qu’est-ce qui fait que l’on sent qu’une idée ou une fraction de l’idée est "présentable" ?
Ah, question épineuse si l’en est ! C’est un grand dilemme quand on fait une musique "de commande". On est souvent excité à l’idée de partager une piste musicale ou une nouvelle idée, mais il faut souvent préférer la peaufiner un peu car on ne sait pas comment elle pourra être alors perçue. Une idée prometteuse, qui pour nous possède beaucoup de potentiels de développement, pourra sembler vide ou peu intéressante à une oreille profane. Présenter une idée nécessite donc de jauger la manière dont elle sera reçue.

Dans votre activité de lecteurs, la musique a-t-elle une place ? Et si oui, dans quels genres de musique aimez-vous baigner lorsque vous lisez ?
La musique a une place dans potentiellement tout ce que nous entreprenons dans la journée. Mais oui, parmi les membres du groupe, certaines aiment lire en écoutant de la musique. Ce peut tout à fait être des albums de Shibalba, Dead Can Dance, Paleowolf, Seven Pines, Nikhil Banerjee ou Aphex Twin... des compilations de chants soufis, séfarades, du médiéval occitan ou du gamelan sundanais pourront également y avoir des places de choix. Des musiques où il est toutefois préférable que les paroles de chansons ne soient pas trop directement compréhensibles, car cela a tendance à distraire l'attention et nuire à la qualité de la lecture. En ce sens, Unruh présente un certain avantage !

Dans l’entrevue que nous avions réalisée avec vous pour une intégration à Soliloquium In Splendor, vous expliquiez qu’"Unruh [avait été] pensé pour accompagner la lecture [du livre]". Vous avez alors projeté votre musique à travers une œuvre autre, un support créé, dans un contexte de forte autonomie accordée par Oksana & Gil. Qu’espéreriez-vous, au sein de Grande Loge, expérimenter / éprouver / apprendre d’un travail du genre soundtrack au service des autres pour le cinéma, le documentaire ou le clip vidéo ?
Effectivement, nous avions délivré quelques clefs de lectures pour appréhender Unruh lors du précédent entretien. Pour en venir à la question ; Félix, l’un des membres du groupe est en réalité compositeur de musique à l’image. Il est habitué à la composition de soundtracks pour les courts-métrages, le jeu vidéo ou même le théâtre. Avec la composition en groupe, c’est une autre dynamique qui se met en place mais nous ne sommes pas non plus en terrain inconnu. Nous aimerions bien composer pour le cinéma et découvrir ce que la contrainte de l’image peut nous pousser à créer ensemble.

Ce travail est susceptible par ailleurs de répondre à un cahier des charges strict, rien que sur les "temps sonores" et leur esprit. Cette contrainte peut-elle être épousée ou l’autonomie la plus importante possible dans le travail de création vous semble-t-elle, en l’état de votre processus, une condition sine qua non de la possibilité de répondre à pareille commande ?
En effet la contrainte visuelle est très forte pour la musique de bande originale. La musique pour un livre s’affranchit aisément de ce genre de cahier des charges. Ce serait un grand changement de méthode de composition pour Grande Loge mais nous sommes convaincus que les contraintes poussent parfois la créativité dans des endroits improbables où elle ne manquera alors pas de puiser, abondamment, et ce dans des ressources jusqu'alors insoupçonnées.

La création du clip pour vous-mêmes est-elle aujourd’hui un projet atteignable ?
Depuis la sortie d’Unruh, il ne s’est pas passé beaucoup de choses au sein de Grande Loge. Concrètement, chacun des membres est bien occupé ! Le projet de clip est mis en suspens en attendant de trouver le temps, mais aussi l’argent nécessaire. L'idée ne sera certainement pas de générer des images en quelques clics, la logistique semble donc une vaste aventure.

La dimension "cosmique" gagnée par la musique de Grande Loge avec Unruh demeure-t-elle dans les travaux à venir ?
Aux antipodes de l'album Mantras, Unruh a la particularité d'avoir été composé exclusivement en studio. Nous avions donc cette fois un choix presque illimité d’instruments, notamment de synthés et de sons électroniques donnant cette dimension cosmique. Cette liberté est plus difficilement applicable dans l’exercice du live mais nous réfléchissons à des manières de l’inclure en concert. Cette exploration a eu comme effet bénéfique de nous ouvrir davantage à ce monde sonore, volontairement absent dans notre premier album.

Le futur de Grande Loge, tel qu’il se dessine aujourd’hui, quel est-il ?
Le futur de Grande Loge est nébuleux. Y-aura t-il des concerts ? D'autres albums ? Grande Loge va-t-elle rester ce qu’elle est ? Disparaître ? Changer de forme ? Seul l’avenir nous le dira.